Agents Secrets en DVD : interview de Fréderic Schoendoerffer

Bien assis dans le fauteuil d'un luxueux café parisien à l'occasion de la sortie en DVD de son second film, Fréderic Schoendoerffer nous confie qu'il aurait bien voulu être policier ou agent secret - il est finalement réalisateur : l'occasion pour lui de faire vivre ses rêves sur grand écran. Dans Scènes de crimes, il décrivait le quotidien de policiers parisiens. Dans Agents Secrets, il s'était payé le luxe de réunir Vincent Cassel et Monica Bellucci pour raconter celui des membres du DGSE. Aujourd'hui, c'est à lui de nous raconter le quotidien d'un réalisateur, et au contraire de ses films, de faire taire les silences pour se livrer tout entier. Rencontre avec un cinéaste qui aime bien regarder la vie par l'autre côté de la lorgnette.

Première enquête : Le Film

Pourriez-vous revenir sur ses origines ?
Mes deux films, Scènes de crimes et Agents Secrets, sont des films de genre, tout simplement parce que j'aime le cinéma de genre en tant que spectateur, et ça depuis que je vais au cinéma. J'essaye tout bêtement de faire des films que j'irais voir- je me dis que je ne serais peut-être pas le seul à en avoir envie. En tout cas c'est une démarche authentique et assez simple, viscérale. Une histoire de goût ! La genèse du film, si tant est qu'il y en ait une, doit remonter au début des années 80, lorsque l'on fit la proposition à mon père, qui est cinéaste, d'adapter un livre d'espionnage. Je ne sais plus pourquoi le film ne s'est pas fait, toujours est-il que je suis tombé sur ce livre, et qu'il m'a fasciné. Même si Agents Secrets ne raconte pas exactement l'histoire de ce roman, je crois qu'il a été un déclencheur, un terreau, une source d'inspiration et de rêve. Alors après Scènes de crimes, j'ai dit à mon producteur que je voulais faire un film d'espionnage – et il se trouve que le sujet l'a intéressé, pour des raisons similaires aux miennes : il avait envie d'en voir un.

Quel est le titre de ce livre ?
Je ne sais plus… C'était un livre sur un agent du Mossad, qui racontait le quotidien d'un agent secret en mission. Ca me plaisait beaucoup, cet autre bout de la lorgnette.

C'est ce que vous avez essayé de faire avec Agents Secrets…
Et que j'avais déjà fait entre guillemets avec Scènes de crimes : filmer des gens dans la contrainte, au plus près, et voir comment, sous le soleil de Satan les personnages réagissent, est-ce qu'ils tombent, est-ce qu'ils se relèvent, ce qui va se passer… Le cinéma de genre est une très belle toile de fond pour faire du cinéma, parce que vous avez tous les ingrédients en terme de suspens, de tension dramatique, de mort, qui peuvent planer autour de vos personnages… C'est assez riche pour essayer de faire un film un peu… enfin pas ennuyeux quoi.

Vous semblez bien connaître le sujet...
Le livre n'était qu'une petite lampe allumée au coin de mon cerveau. Lorsque j'ai décidé de faire ce film, je me suis beaucoup documenté : l'écriture du scénario a pris un an et demi, et j'ai dû commencer à me renseigner un an auparavant, en essayant de rassembler tous les récits et les romans de John Le Carrey, de Graham Greene, ou même Robert Ludlum. C'est une chose que je trouve assez plaisante lorsque je travaille sur un film : aborder un sujet que je connais un petit peu, puis rentrer un phase de documentation ; ce qui fait qu'une fois le film terminé, j'en sais un peu plus sur le monde dont j'ai parlé. Il y a un véritable enrichissement personnel, intellectuel.

Et en plus des écrits, j'avais rencontré il y a un douzaine d'années un ancien agent secret avec qui j'avais sympathisé, et avec qui j'étais toujours resté en contact. Je me disais que si un jour j'étais metteur en scène (j'étais alors premier assistant), j'aurais besoin de lui ! Alors quand j'ai décidé d'écrire le scénario, c'est la première personne que j'ai appelée. Il m'a beaucoup aidé en acceptant d'être conseiller technique sur ce film, pendant l'écriture, aux moments clés du tournage. S'il m'avait dit non, je n'aurais peut-être pas fait le film, car mon premier souci était de faire un film réaliste, et de donner au spectateur le sentiment que tout ce qu'il voit sur l'écran est vrai. Après si vous voulez faire une fantaisie c'est un autre problème !

Y a-t-il des choses réelles que l'on vous a raconté que vous avez mis dans le film ?
Oui, pleins de petites choses. Bien sûr, je ne cherchais pas à découvrir ses secrets, parce que les anciens agents secrets ont un devoir de réserve, ce qui est d'ailleurs bien compréhensible étant donné l'activité qu'ils font ! Mais on lui faisait lire certaines scènes pour lui demander si quelque chose clochait, et il disait "tu vois là on ferait pas ça comme ça, mais plutôt comme ça".

Avec le recul, quels souvenirs gardez-vous du tournage ?
Un très très bon souvenir. Ca a été un plaisir absolu de travailler avec Monica Bellucci et Vincent Cassel, je ne les connaissais pas du tout. Finalement tout le monde dit toujours la même chose, "ah ils était formidables…" -mais là c'est vraiment vrai. Une osmose de travail.
C'était mon deuxième film, et eux c'étaient des "stars", et pourtant ils m'ont fait totalement confiance. A aucun moment ils n'ont fait peser sur mes épaules le poids de leur notoriété ou de leur expérience, ils étaient véritablement au service du film. J'imaginais que c'était comme ça… Mais c'est vraiment génial de travailler avec des gens qui se donnent beaucoup. Faire un film c'est difficile, c'est incertain, vous avez des doutes, et quand vous voyiez des acteurs aussi engagés, aussi sérieux, aussi professionnels, ça vous fait du bien, ça vous aide à donner le meilleur de vous-même. C'était exceptionnel, vraiment. Je tournerais demain avec eux si l'occasion se présentait.

Monica Bellucci était sur le projet dès le début, mais Vincent Cassel n'est arrivé que quelques mois plus tard. Vous aviez pensé à quelqu'un avant lui ?
Non. Je ne pense jamais aux acteurs lorsque j'écris mon scénario, pour une raison très simple : la superstition. C'est un des conseils que mon père m'a donné pour être metteur en scène. Et même si ça avait été le cas, je n'aurais jamais eu le culot de penser à Monica Bellucci et Vincent Cassel. Si lorsque j'écrivais le scénario on m'avait dit que ce serait eux, je l'aurais pas cru. C'était trop.

Vous désiriez une histoire d'amitié entre vos personnages. Prendre un vrai couple à la ville c'était prendre un risque, non ?
C'est quelque chose que l'on n'a pas calculé au départ ! Quand je suis allé au rendez-vous avec Vincent Cassel alors que Monica était déjà sur le projet, je me suis dit que s'il acceptait, ça allait enrichir l'histoire, qu'on pourrait voir dans le film une préquelle d'histoire d'amour. J'ai pris ça comme un énorme plus.

Pourquoi faire planer ce mystère autour de vos personnages, l'histoire, cultiver les ellipses, les non dits ?
C'est la nature même du sujet. Je pense que le film est mélancolique et désabusé. Je ne veux pas faire de généralité, mais il n'y a pas vraiment d'agent secret heureux. Ils font ce métier par romantisme, par goût de l'aventure, et à l'arrivée, c'est beaucoup de désillusions et de trahisons. D'une certaine manière, je trouvais qu'il y avait dans Agents Secrets un écho avec le monde social d'aujourd'hui dans les grandes entreprises. Vous pouvez croiser un chef de service qui vous dit "vous êtes une super journaliste", et le lendemain vous êtes licenciée par ce gars là que vous ne reverrez jamais.

On a l'impression de gens normaux perdus dans un autre univers…
Exactement. Les agents secrets sont des gens comme vous et moi, pas des Superman. Par définition ce sont des gens qui passent inaperçus, qui sont intelligents, qui ont la capacité de changer d'apparence, de vie, mais à la base ce sont des gens ordinaires. C'est une histoire de vocation. C'est ça qui me plaisait, des super héros ça ne m'aurait pas intéressé.

Rien à voir avec James Bond alors !
Non ! Mais Agents Secrets n'est pas une critique de James Bond, car j'aime aussi voir ce genre de film. Mais c'est une fantaisie, une autre manière de parler de tout ça.

Vous auriez aimé être un agent secret ?
Oui ! Les deux films que j'ai faits sont sur deux professions, deux vies qui m'auraient sûrement intéressées. Mais je ne sais pas si j'en aurais été capable !

Dans le making of, Monica Bellucci les définit comme "des terroristes d'état". Qu'en pensez-vous ?
Je pense qu'elle n'a pas tort. C'est une manière très violente et très provoc d'en parler, mais oui bien sûr je suis d'accord. Finalement ce sont des gens qui, sous une fausse identité et avec de l'argent qui ne leur appartient pas, font des choses illégales. Quand ils ont fait sauté le Rainbow Warrior à Okland en Nouvelle Zélande, c'était un acte terroriste – bon après on rentre dans un débat sémantique, mais je comprends ce qu'elle voulait dire.

Pourquoi avoir choisi cette fin ?
Parce que j'aime ça en tant que spectateur. Quand la fin est fermée, même si le film est sublime, c'est fini, c'est terminé. Alors que si elle est ouverte, vous pouvez rentrer chez vous et rêvasser. Quand vous louez un chalet dans la montagne, il y a un endroit pour mettre sa touche personnelle. Et bien c'est pareil les fins ouvertes : c'est là où le spectateur met sa touche personnelle s'il a aimé le film.

Est-ce que vous croyiez que le recrutement chez les agents secrets a baissé après votre film ?
Au contraire ! Je pense que le film est une publicité pour ce métier ! Quand on voit la tête qu'ils ont, ça fait rêver non ?! Moi si je voyiez un film comme ça, même si la fin est triste, je me dirais, "waouh quand même c'est assez rock'n'roll comme vie".

Deuxième enquête : Le DVD

Vous semblez assez pointilleux sur le tournage : avez-vous supervisé le DVD de la même manière ?
Oui, j'ai supervisé tous les suppléments qui sont dans le DVD. En réalité, la conception s'est passée très en amont : TF1 vidéo a acheté les droits d'édition avant même que le film ne soit tourné ! Ils voulaient que le DVD soit fourni, parce que les bonus ont une part très importante dans l'acte d'achat - même si tout le monde sait que personne ne les regarde jamais. C'est quand même paradoxal mais c'est comme ça ! On a donc essayé de faire au mieux. Des scènes coupées, des projets d'affiche… Tout est dans le même esprit, faire un maximum de choses mais pas n'importe quoi. Disons que le 0,01 % de gars qui va aller regarder les projets d'affiche, ça peut peut-être l'amuser !

Donc c'est quelque chose que vous aviez déjà en tête pendant le tournage ?
Oui ! On avait une équipe qui tournait un making of – elle était là parce qu'on nous avez demandé de faire ce type de supplément, sinon à priori je ne suis pas totalement pour qu'il y ait une caméra qui se balade sur le plateau.

Un making of signé Isabelle Giordano. C'est vous qui l'avez amené sur le projet ?
Oui. Elle animait une émission de télévision sur le cinéma lorsque Scènes de crimes est sorti. C'était un petit film et elle l'a beaucoup aidé. C'est pour ça que j'ai pensé à elle, et elle était contente de le faire.

Vous gardez un œil dessus ?
Pas pendant le tournage, mais pendant le montage bien sûr. Je suis obligé de faire attention, parce ça va figurer sur le DVD. Et c'est le DVD qui va rester…

C'est donc une manière pour vous de "garder un trace", notamment avec le petit montage "collector" ?
Oui tout à fait. Ce que les gens ne savent pas, c'est que tous les rushes non utilisés disparaissent, on les détruits… Tous ces petits moments qui ne sont pas dans le film, qui me faisait rigoler, des fous rires, des bêtisiers, j'avais envie de les faire partager, et de les garder. D'où ce petit montage intitulé "collector" sur le DVD.

Le packaging de votre DVD est assez original ! C'est votre choix ?
Non, c'est TF1 Vidéo qui me l'a proposé, en me disant que ce serait la première fois en France qu'il y aura un truc comme ça, j'étais enchanté ! Dès le départ, ils avaient une idée assez précise et assez class de tout ça, on n'a pas été obligé d'en parler longtemps. La jaquette et l'objet lui-même, ne sont pas de moi. Je n'ai pas de contrôle là dessus. Mais je suis content du résultat.
Des fois il y a des cinéastes qui disent que leur DVD n'est pas exactement comme ils l'auraient voulu, et bien là franchement, il me va bien ! J'en ai un dans ma bibliothèque, et quand je le vois, je n'ai pas honte !

Y'a quelque chose que vous auriez aimer voir figurer dans ce DVD et qui n'y est pas ?
Non. J'ai juste regretté que Vincent ou Monica ne puissent pas faire le commentaire avec moi. Mais c'est toujours très compliqué les emplois du temps !

Et pour le DVD des Agents Secrets, y aurait-il quelques bonus secrets ?
Ah tiens bien joué ! Mais non, il n'y en a pas. C'est rigolo les bonus secrets, mais il y a déjà si peu de gens qui regardent les suppléments, si en plus il faut qu'ils les trouvent, alors là vous êtes mal !

Justement, êtes vous un grand consommateur de DVD ?
Oui, mais je suis un amateur, pas un cinéphile, pas quelqu'un qui essaye de tout voir. Je vois les films par goût. Il y a donc des films que je ne vois pas, et je fais certainement des erreurs, mais je n'ai pas cette boulimie de tout voir.

Vous en avez beaucoup ?
Je commence à en avoir pas mal. Mais je suis loin d'être un précurseur : j'ai mon lecteur DVD que depuis deux ans !

Et des DVD de chevets ?
Ah ça oui ! Nixon d'Oliver Stone, qui est pour moi un chef d'œuvre absolu, La ligne rouge de Terrence Malick, Marathon Man, French Connection, Le cercle rouge, tous les films de Claude Sautet, quels qu'ils soient… La liste serait longue !

Ce sont ces films qui vous ont donné envie de faire du cinéma ?
Oui. En fait, je suis venu au cinéma à cause de ça – et puis parce que je suis né dans une famille de cinéma. Mon père est metteur en scène, et quand j'étais petit à la maison, il y avait toujours des gens extraordinaires qui discutaient de projets de films qu'ils allaient tourner à l'autre bout de la planète, et ça me fascinait. Je trouve que c'est l'un des plus beaux métiers du monde. Tout les matins, je me dis j'ai de la chance, j'ai 40 balais, et mon rêve de jeunesse est accompli. Même si je ne fais plus jamais de films, j'en aurais fait deux, j'aurais été metteur en scène. C'est une chance inouïe, combien de gens peuvent dire qu'ils ont réalisé leur rêve de jeunesse ?

Vous avez tout de suite plongé dans le cinéma ?
Tout de suite. Juste après mon Bac, j'ai été stagiaire à la régie, stagiaire à la mise en scène, second assistant, puis premier, ensuite cameraman pour le journal de France 2, puis directeur de prod, puis à nouveau premier assistant – et puis j'ai commencé à écrire. Tout mon passé professionnel, c'est dans le cinéma… Depuis que j'ai dix neuf ans.

Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
Cinématographiquement parlant… L'avance sur recette de Scènes de crimes… Et la rencontre avec Monica Bellucci dans un petit café à côté de chez elle, et surtout son appel trois jours plus tard pour me dire qu'elle faisait le film… Les neufs mois passés au Viet Nam pour bosser comme premier assistant sur Dien bien phu… J'ai plein de souvenirs !

La chose la plus difficile lorsque vous tournez un film ?
Le film lui-même ! Comme les êtres humains, les films vous échappent à un moment donné…

Que pensez vous du cinéma français actuel ?
Plutôt du bien. Même si, or cinéma américain, le cinéma mondial est en danger, parce que les Américains nous grignotent, il me semble que le cinéma français devient plus ambitieux, plus conscient de ses responsabilités industrielles, et de celle vis-à-vis du public. On est enfin en train de sortir de l'influence de la Nouvelle Vague, de se professionnaliser un peu, sans faire non plus des films trop marcketés. Après, faut voir… J'espère pouvoir faire des films pour que ça aille de mieux en mieux... (rires)

Quels sont donc vos projets pour continuer à agrémenter le cinéma français ?
Je travaille sur le scénario d'un thriller… l'adaptation d'un livre anglais, et heu… j'espère avoir fini le scénario dans cinq ou six mois. Voilà. Je ne peux pas tellement en dire plus… Encore ma superstition ! C'est pas de l'arrogance c'est juste que… Low profile…!

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Propos recueillis par Aurélie Maulard (Paris, 22 novembre 2004)