Broken Flowers : Notre rencontre avec l'équipe du film !

Broken Flowers : Notre rencontre avec l'équipe du film !

Présenté en Compétition officielle au dernier festival de Cannes où il remporta le Grand Prix du jury, le nouveau film de Jim Jarmusch Broken Flowers sort en salles en ce début septembre... L'occasion pour nous de revenir sur la présentation du film sur la Croisette et sur notre rencontre, en août dernier à Paris, avec son réalisateur…

Notre rencontre avec Jim Jarmusch avant la sortie de Broken Flowers.

Le grand Jim Jarmusch cultive l'art du grand écart entre sa culture américaine et sa sensibilité européenne. A l'occasion de la sortie le 7 septembre de Broken Flowers, il était de passage à Paris pour une rencontre avec le public déjà impatient de découvrir son dernier film, auréolé du Grand Prix du Festival de Cannes 2005. Ce film s'ouvre d'ailleurs sur une dédicace à Jean Eustache, un cinéaste que le réalisateur avait découvert à la Cinémathèque de Paris. Durant cette rencontre (qui devrait constituer un bonus du dvd de Broken Flowers), Jim Jarmusch est revenu sur son parcours en commentant la projection de plusieurs extraits de ses films.

Broken Flowers
« J'ai écris un scénario destiné à Bill Murray il y a environ cinq ans, et il avait envie de le jouer. En le relisant, je le trouvais trop écrit, il fallait le retravailler. J'ai proposé alors à Bill Murray une autre histoire et c'est devenu Broken Flowers. J'étais à ce moment-là occupé par le tournage de Coffee and Cigarettes, auquel il a participé. Vous verrez dans l'histoire de Broken Flowers qu'il y a une sorte d'enquête à la manière d'un détective, c'est aussi une façon de décrire un personnage. Broken Flowers est le portrait d'un homme.
Le Grand Prix à Cannes… j'ai parlé un peu trop lors de la cérémonie de clôture (rires). Je ne crois pas à la compétition dans le domaine de l'art, mais j'accepte de voir mes films en compétition à Cannes. Cannes c'est à la fois un honneur et une reconnaissance. C'est en même temps une chance pour le film d'y être remarqué et acheté pour être diffusé. On peut ainsi rester indépendant et avoir le contrôle de ses futurs projets. Le Festival de Cannes a toujours été bienveillant avec moi. »
(Jim Jarmusch y a été récompensé de nombreuses fois).

PERMANENT VACATION
« C'était la toute fin des années 70 avec la naissance de la culture hip-hop. Il y avait l'idée du "do it yourself", de ne pas avoir besoin d'être professionnel pour créer des choses. Ce film est pour moi une sorte de home-movie. Je ne revois pas mes films après leur sortie, et je ne me souvenais plus de la voix-off comme ça. »

STRANGER THAN PARADISE
« C'est avec ce film que j'ai pour la première fois été récompensé à Cannes, c'était une reconnaissance internationale. En fait, on avait réalisé le film que l'on voulait voir, sans penser que grand monde le verrait. C'est émouvant pour moi de me rendre compte que je continue encore à faire des films aujourd'hui, je n'imaginais pas ça à l'époque… »

MYSTERY TRAIN
« J'aime différents genres de littératures, différents genres de musiques… Mystery Train (1989) et Night on Earth (1991) ont des récits particuliers, éclatés. Si il se passe quelque chose à un endroit, que se passe-t-il au même moment ailleurs ? J'aime le point de vue d'un étranger qui apporte son regard sur un lieu. Je n'aime pas beaucoup les frontières et le nationalisme, je préfère que les cultures se mélangent, et voir ce que ça peut donner. »

DEAD MAN
« J'avais l'idée de montrer le voyage d'un personnage, en y incluant des thèmes comme le génocide des Indiens, la violence, le fait de devenir célèbre… En écrivant le scénario, j'écoutais des chansons de Neil Young. Après un de ses concerts je lui ai demandé s'il voulait faire la musique de ce film. Il m'a répondu de lui envoyer un montage. Deux jours plus tard, il me rappelait pour me dire qu'il allait participer à la musique. Il a enregistré quasiment en live devant la projection des images, la musique c'est en fait Neil Young qui réagissait avec son instrument à ce qu'il voyait.
Dead Man a été financé comme d'autres films avec des fonds européens : ainsi j'ai le négatif, le copyright et le director's cut. Broken Flowers a été quant à lui en partie coproduit par des Américains mais j'ai négocié le contrôle artistique total du film.

GHOST DOG
Ghost Dog est une sorte de collage de culture hip-hop, de code samouraï et de familles de truands new-yorkais. En matière de cinéma, l'originalité est surévaluée, on s'inspire forcément d'ailleurs. Ce film en est l'exemple, picorer un peu partout pour faire quelque chose d'original et unique.
Dans le film, je montre que le tueur-samouraï a des sentiments et des côtés délicats avec les scènes où il est avec les pigeons. Plus tard, le boxeur Mike Tyson m'a confié que quand il était petit, il apprivoisait aussi des pigeons, et que quelqu'un leur avait tiré dessus comme dans le film. Tout comme j'étais fan de Neil Young, j'étais fan du groupe Wu Tang Clan dont j'ai rencontré Rza. Il avait envie de faire de la bande-originale de film (il a réalisé ensuite celle de Kill Bill Vol.1). Je suis toujours en contact avec lui, je pense que l'on collaborera de nouveau ensemble… »

Propos recueillis par Christophe Maulavé - Paris, Août 2005

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Présentation du Film à Cannes le 17 mai 2005

Quand la météo fait son cinéma…
Le soleil n'était pas au beau fixe en ce septième jour de compétition… l'ambiance non plus. Seul le premier film de la journée, Rêves de Shanghai du chinois Wang Xiaoshuai, a pu s'offrir une montée des marches ensoleillée. Jim Jarmusch, venu présenter BROKEN FLOWERS, et les frères Dardenne, de retour à Cannes avec L'ENFANT, six ans après leur Palme d'Or très controversée pour ROSETTA, ont dû faire face aux caprices du ciel cannois… Des montées des marches entre deux averses de pluie battante, avec une ambiance très particulière : peu de badauds, des invités qui se pressent de monter, se protégeant tant bien que mal de la pluie et du vent…. Mais le cœur y était, et les spectateurs de BROKEN FLOWERS, dont nous faisions partie, n'ont pas été déçus du déplacement !

Un bol d'air signé Jim Jarmusch…
S'il est un cinéaste américain qui n'a encore jamais déçu, c'est bien Jim Jarmusch. Pourtant très éclectique dans ses genres et ses histoires, de DEAD MAN à Coffee and cigarettes, il présentait hier en compétition officielle son nouveau long-métrage, BROKEN FLOWERS, avec Bill Murray.
Grand favori dans la course à la Palme d'Or, le film a reçu une véritable ovation après sa présentation officielle hier soir. Bill Murray y incarne Don Johnston, un homme d'une cinquantaine d'années, qui, après que sa dernière conquête (Julie Delpy) l'ait quitté, reçoit une lettre anonyme, tapée sur un papier rose, lui annonçant qu'il est le père d'un jeune homme de 19 ans. Son voisin, un détective du dimanche campé par Jeffrey Wright, lui concocte un plan pour retrouver l'auteur de cette lettre. Voilà donc notre Don parti pour une sorte de road-movie à la recherche de soit, un voyage ponctué de rencontres aussi insolites que drôles. Il va ainsi retrouver quatre de ses ex-compagnes d'il y a vingt ans, quatre femmes aux antipodes l'une de l'autre, nous offrant à chaque fois de magnifiques séquences. Sharon Stone en mère de famille d'une ado lolita de 15 ans dans une maison sans prétention, Frances Conroy en bourgeoise coincée pour une scène de dîner d'anthologie, Jessica Lange en communicatrice pour animaux et, pour finir, une country girl campé par une Tilda Swinton méconnaissable. Chacun de ces personnages est parfaitement original, offrant aux spectateurs des moments uniques, ponctués de dialogues succulents.

Un exercice de style remarquable, dont toute la force réside dans celle de ses personnages. Et bien que Bill Murray choisisse un mode d'interprétation très proche de LOST IN TRANSLATION (cf. la scène de l'aéroport, similaire à une séquence à l'hôtel dans le film de Sofia Coppola), ce rôle lui scie parfaitement.
Lors de la conférence de presse de l'équipe, Jarmush a insisté sur son choix de travailler plus sur les personnages que sur le scénario :
« Mes films ne reposent pas spécialement sur une intrigue, ils sont plus centrés sur des personnages. Mais je ne m'intéresse pas spécialement à ce qu'ils faisaient avant le film. Par exemple, avec Don, on ne sait pas ce qu'il lui arrivait avant que Sherry le quitte, et on commence à découvrir son passé, à y réfléchir, à partir du moment où lui-même fait cette démarche. »

Jarmusch nous a ainsi donné, à plus de la moitié de ce festival, le bol d'air frais dont nous avions bien besoin. Sans doute l'un des plus beaux films de cette compétition avec CACHé de Michael Haneke.

=> Voir toutes les photos de la présentation de BROKEN FLOWERS à Cannes

Amélie Chauvet (Cannes, le 18 mai 2005)