Chut ! Les Dardenne parlent de Lorna...

Nous avons eu la chance d’interviewer les Frères Dardenne à l’occasion de la sortie de leur dernier long-métrage, Le Silence de Lorna...

Mais également la jeune actrice qui porte le film sur ses épaules, Arta Dobroshi, belle, incroyablement gentille et sympathique.

Pour nous, ils ont brisé le silence.

Chut ! Les Dardenne parlent de Lorna...

 

Ouverts et sympathiques, les Frères Dardenne nous ont parlé de leur film, du cinéma, de Cannes, où ils ont reçu cette année le prix du scénario et de bien plus encore… Ils se sont même prêtés à une séance photo improvisée !

Rencontre entre six yeux avec deux grands hommes du cinéma.

Comment avez-vous construit votre scénario ?
C’était d’abord le désir de faire un film avec une femme. On a essayé plusieurs débuts de scénarios et finalement, on s’est souvenu d’une histoire qu’une fille nous avait racontée. Celle de son frère, un garçon comme Claudy, toxicomane, qui avait été contacté pour épouser une prostituée albanaise contre un peu d’argent au mariage et un peu d’argent au divorce, enfin un peu beaucoup au divorce. Et elle savait, de par sa profession, que l’argent n’arrivait pas forcément au divorce, mais que c’était plutôt l’overdose. Elle a donc dit à son frère de ne pas le faire. On a pris d’autres éléments ensuite mais cette histoire nous avait frappés. On s’était dit que ça serait bien d’avoir une femme au lieu de prendre le frère comme personnage principal. Une femme, qui ne serait pas prostituée car cela aurait été un stéréotype, mais une femme qui serait prise, comme ça, entre un homme avec lequel elle va faire un faux mariage mais avec lequel elle doit vivre réellement tout en connaissant son destin.

Entre cette première ébauche et le résultat final, y a t-il eu beaucoup de changements ?
Entre le premier scénario et celui que les acteurs ont lu, il y a eu dix versions différentes. Puis, il y a les repérages que nous avons faits. On passe beaucoup de temps aux repérages, à trouver les lieux et la manière dont on va les habiter. Cela modifie encore un peu le scénario, pas dans les grands mouvements, mais ça enrichit les scènes. Ensuite, il y a les répétitions avec les comédiens pendant deux mois qui enrichissent aussi. Ces changements sont de l’ordre du détail, mais des détails qui tuent. Parce que ce sont les détails qui font la vraisemblance et la vérité. Mais, entre l’histoire de Lorna telle que vous l’avez vue à l’écran et celle telle qu’elle a été écrite, les mouvements essentiels sont là.

Votre réalisation est ici moins étouffante. Cela permet notamment de laisser vivre d’avantage le personnage de Lorna. Pourquoi ce choix ?
C’est vrai que nous sommes un peu plus loin, que la caméra bouge un peu moins. Nous pensions qu’il nous

fallait observer cette femme plutôt que d’être dans son énergie. C’est une femme mystérieuse qui a plusieurs plans, plusieurs stratégies. C’est un personnage avec cinq hommes et avec chaque homme, elle a une intrigue différente. Avec Fabio, elle est dans le complot avec lui au départ, mais elle va en sortir car il y a des choses qu’elle ne peut pas lui dire, comme le divorce qu’elle prépare. A Sokol, qu’elle aime, elle ne peut pas lui dire qu’elle a aimé aussi Claudy. A Claudy, elle ne peut pas lui dire qu’il est destiné à disparaître. A Spirou, elle ne lui dit pas qu’elle va prendre la pierre. Avec le Russe, elle se demande si elle lui parle ou non du bébé qu’elle attend. Elle est à chaque fois prise dans des intrigues, parfois qu’elle mène elle-même, parfois qui la dépassent. En tous cas, c’est quelqu’un qui est compliqué (rires).On s’est dit qu’on allait la regarder, voir comme elle mène tous ces trucs-là, tous ces hommes. On est là surtout pour l’observer, l’enregistrer.

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Les confidences de Lorna

 

C’est une Arta Dobroshi souriante et extrêmement accessible que nous avons rencontrée à la veille de la sortie du film Le Silence de Lorna.
Véritable révélation du long-métrage des Frères Dardenne, elle a brisé le silence - dans un français impeccable ! - pour nous parler de son rôle et de son expérience belge.

Comment vous êtes vous retrouvée dans Le Silence de Lorna ?
Je suis née au Kosovo mais j’étais à Sarajevo à ce moment-là pour une pièce de théâtre. Le directeur de casting de Paris m’a appelée pour me dire qu’il y avait des auditions. Jean-Pierre et Luc (ndlr : Dardenne) avaient déjà vu quelques uns des films faits en Albanie et en République Tchèque et leur directeur de casting m’a donc demandé d’aller à Pristina pour des essais. J’y suis allée, cela a duré cinq minutes. J’ai juste dit « je suis Arta Dobroshi, je vis à Pristina ». Mais je ne parlais pas du tout français ! Les seuls mots que je connaissais étaient « lundi, mardi, mercredi, jeudi… », que j’avais appris aux Etats-Unis dans une chanson. Après deux semaines, on m’a appelée pour me dire que les frères Dardenne souhaitaient me voir. Ils sont venus à Sarajevo, on a fait une journée entière de tournage et ensuite ils m’ont annoncée que je devais aller à Liège pour faire deux scènes en français avec Jérémie Renier et Fabrizio Rongione. J’ai du apprendre par cœur, phonétiquement, les scènes et j’ai travaillé avec une professeur à Sarajevo pendant deux semaines. Je suis allée là-bas, on a fait la scène en français. Je ne connaissais pas la langue donc j’ai essayé d’analyser le plus possible les émotions de Lorna, de jouer avec ce que je ressentais du personnage. Après deux jours, ils m’ont annoncé que j’avais le rôle. Et là je me devais de vraiment apprendre la langue. J’ai travaillé dans une école, huit heures par jour, je ne parlais plus que français et je m’entourais au maximum de gens qui parlaient cette langue. Jean-Pierre, Luc et toute l’équipe m’ont beaucoup aidée. Après deux mois, je me sentais à l’aise avec cette langue.

Vous connaissiez le cinéma des Frères Dardenne ?
Oui, on m’en avait parlé à l’Académie des Arts de Pristina. Mais, je n’avais pas vu leurs films. Au Kosovo, ils ne sont pas distribués. Pour les voir, il faut passer par les DVD pirates (rires).

Avez-vous pu contribuer à la construction du personnage ?
C’est difficile de répondre à cette question. On a tellement travaillé tous ensemble, en équipe. Quand on faisait une scène, Jean-pierre et Luc nous demandaient notre avis, ils étaient très ouverts. Cela permettait de trouver plus de solutions. De toute façon, c’est normal de donner de soi dans un rôle. On joue le personnage, on utilise son corps, ses émotions. C’était un vrai travail d’échanges.

Vous êtes dans tous les plans du film et le français n’est pas votre langue maternelle. Avez-vous ressenti une pression particulière ?
Non, pas du tout. Déjà concernant le français, au bout de deux mois, je me sentais mieux en jouant en français qu’en albanais (rires). Sinon, je n’ai pas eu de pression du fait d’être dans chaque plan, c’était plus facile en fait. Chaque jour tu es dans la continuité du personnage. On tournait le scénario chronologiquement, donc je vivais au fur et à mesure une expérience de Lorna et je pouvais l’évaluer. Je ne pensais pas du tout au fait que j’étais tout le temps à l’image, je pensais simplement à Lorna et à sa manière d’avancer. Quelle est sa vie ? Que pense t-elle ? Comment va t-elle changer ? Je fais une biographie de chaque personnage que je joue. Je l’ai donc fait aussi pour Lorna, j’ai écrit tout ce qu’elle avait fait avant la toute première scène, celle dans la banque. Je lui ai donné un passé. C’était très important.

Comment s’est passé votre rencontre avec Jérémie Renier ?
Le travail avec lui a été super. On s’est rencontré d’abord comme ça, juste tous les deux, on a bu quelque

chose. On a appris à se connaître. C’est très important d’apprendre à connaître le partenaire avec lequel tu vas jouer. Ça a été la même chose avec Fabrizio (ndlr : Rongione) . Les deux m’ont mis vraiment à l’aise. Donc c’est important, car parfois quand tu joues dans un film, ton partenaire te bloque et tu ne choisis pas. Et cette fois c’était génial. Quand ça se passe bien, tu peux vraiment créer avec tout ton corps, tu peux t’ouvrir, avec confiance. La chose la plus importante dans un film c’est l’histoire et, avec toute l’équipe, on a travaillé ensemble à son service.

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Propos recueillis par Charlotte Vaccaro (Paris, août 2008)