Entretien avec le réalisateur de Jewish Connection

Jewish Connection s’inspire de faits réels survenus à la fin des années 90.

Le trafic a débuté précisément en 1998. Cela fonctionnait tellement bien que les opérations devenaient de plus en plus importantes. Les pilules convoyées par les rabbins finissaient aux quatre coins des Etats-Unis. Ils en ont fait passer plus d’un million en un temps record. Ils avaient des réseaux à Miami, New York… Puis, comme souvent dans ce genre de trafics, l’avidité a pris le dessus. Ils ont étendu leur marché à d’autres types de drogues, que les chiens policiers étaient, cette fois-ci, capables de repérer. Ils se sont mis à communiquer via leurs téléphones portables ce qui a permis à Interpol et à la D.E.A. (Drug, Enforcement Administration) de pister les porteurs. Le trafic a été démantelé en 2000 à Amsterdam. Suite à cette affaire, les lois hollandaises sont devenues plus strictes pour les fabricants de drogues, manufacturées.

Comment avez-vous eu connaissance de cette histoire ?

Je n’en avais pas entendu parler à l’époque. C’est mon ami Danny Abeckaser, le producteur du film et l’interprète de Jackie Salomon dans le film, qui m’en a appris l’existence il y a cinq ans. Nous venions de travailler ensemble sur mon court-métrage, Characters, dans lequel il interprète un fanatique d’Al Pacino – Danny ressemble à un Pacino juif et l’imite à merveille. En découvrant un documentaire consacré à cette affaire sur History Channel, Danny s’est dit qu’il tuerait pour jouer le rôle de ce trafiquant de drogues. Sachant que personne ne le lui proposerait, il a initié lui-même le projet. Puis il s’est tourné vers moi pour que je le réalise.

Le scénario a beaucoup évolué ?

Danny envisageait de raconter l’histoire du point de vue de son personnage, le trafiquant de drogue. Je trouvais plus intéressant d’adopter celui du jeune hassidique initialement enrôlé comme mule. Danny a tout de suite adhéré.

C’est là que l’on a approché Antonio Macia pour écrire le scénario. J’ai découvert à posteriori qu’Antonio était mormon. D’origine catholique, il s’est converti lorsqu’il était à la fac puis est parti deux ans en mission. Il en a tiré tout ce que la religion peut apporter de positif : le sens de qui il est, de sa place dans le monde, de la communauté. Pour ma part, je suis juif non pratiquant mais j’ai toujours vécu ma judéité comme un élément positif. Or, je trouve que la religion est souvent connotée de manière négative dans les films. Je voulais montrer ce qu’elle peut signifier pour quelqu’un au quotidien, l’approcher de l’intérieur. Que l’on soit avec ces juifs orthodoxes, que l’on rie en leur compagnie, que l’on se reconnaisse en eux. Ce qui n’est pas aisé tant ils sont distants. Ils se tiennent loin des regards, du contact physique avec les autres…

Connaissiez-vous bien la culture hassidique ?

Pas du tout. Mais quand on est juif, les orthodoxes sont prédisposés à vous apprendre si vous en exprimez le souhait. Cela fait même parti de leur mission, ils font ça pour vous sauver, c’est une mitzvah (un acte de bonté). Je me suis donc rendu dans le quartier hassidique de New York, j’ai discuté avec les gens dans la rue. Puis quand Jesse (Eisenberg) est arrivé sur le projet, nous avons effectué autant de recherches que possible. A Borough Park (quartier hassidique de Brooklyn), on a parlé avec Sal, un postier italien, qui travaille là depuis 30 ans et que la communauté a surnommé le « Goy du Shabbat ». Il nous a raconté qu’un soir de Shabbat une alarme de voiture s’était déclenchée et qu’il avait dû venir juste pour qu’on lui donne les clés et qu’il l’éteigne parce que personne dans le quartier n’avait le droit de le faire. Ce personnage était au départ dans le scénario mais nous avons dû le couper.

Les autres personnages du film sont-ils inspirés des protagonistes réels ?

Non. L’idée n’était pas de coller à la réalité mais de s’inspirer des faits pour en tirer une fable. Nous n’avons rencontré aucun des vrais protagonistes. Jusqu’en mai dernier. L’un des juifs orthodoxes impliqués dans le trafic est venu assister à une séance du film à New York. A la fin de la projection, il est venu vers moi, assez agressif. Plus je discutais avec lui, plus je me rendais compte que le vrai Sam, c’était lui. Et que nous avions visé assez juste. Comme dans le film, Le trafiquant de drogue et sa copine étaient devenus comme des parents pour lui. En revanche, il reprochait au film de ne pas montrer l’ampleur de l’opération. Mais Jewish Connection est un film à petit budget, et ce qui m’intéressait
n’était pas tant le côté thriller de l’histoire que le récit d’un passage à l’âge adulte.

Avec ses airs d’adolescent fragile et arrogant, son mélange de maladresse et de détermination, Jesse Einseberg est idéal dans le rôle de Sam.

Je m’étais fait une liste de trois acteurs que j’apprécie qui, tout en bénéficiant d’une certaine notoriété, me semblaient convenir au rôle. J’admire le travail de Jesse depuis Les Berkman se séparent et Roger Dodger. Et il se trouve que le manager d’Antonio, notre scénariste, a donné le scénario à l’agent de Jesse sans prévenir personne. Jesse l’a aimé et a cherché à nous rencontrer. Imaginez ma tête quand j’ai reçu le coup de fil m’apprenant la nouvelle : « Jesse veut jouer le rôle !? Signez tout de suite ».

Qu’a-t-il apporté au personnage ?

Tout. Quand Jesse est arrivé, nous avons entièrement retravaillé le scénario. Je l’ai laissé réécrire des scènes qui lui tenaient à cœur. Il fut un vrai partenaire d’écriture. Nous étions sur la même longueur d’ondes : ce qui nous importait, c’était l’attachement à ces personnages. L’humanité, l’humour… l’humeur de chaque situation.

L’autre révélation du film, c’est Ari Graynor qui interprète Rachel.

Je l’adore ! C’est la dernière arrivée sur le film. Nous avions tous nos acteurs sauf elle. Je me suis battu pour ne pas faire de son personnage un cliché. C’est la copine du trafiquant de drogue, Sam a un coup de cœur pour elle mais il restait à définir qui elle est vraiment. J’avais besoin d’une actrice qui comprenne la lutte interne qui l’anime. Ari l’a fait à merveille. Je l’appréciais depuis que je l’avais vue dans Une nuit à New York mais je ne l’imaginais pas du tout dans le rôle de Rachel avant de l’auditionner. Ce n’est pas la belle fille typique comme on l’imagine à Hollywood. Elle est belle mais accessible, sexy mais avec du caractère. Et puis elle a cette « judéité » qui rappelle Ellen Barkin.

Son personnage est assez tragique : elle aimerait tout quitter pour partir avec Sam mais elle sait qu’elle ne le fera pas.

Rachel incarne un fantasme différent aux yeux de chaque homme. Pour Jacky, elle représente le foyer. Pour Sam, une sorte d’âme sœur, celle qui le fera devenir un homme. Le drame, c’est qu’elle ne sera jamais en mesure de lui donner ce qu’il cherche. Elle croit aveuglement en ce monde de la nuit autant que Leon, le meilleur ami de Sam, croit en la religion. Sauf que son monde à elle n’a ni valeur, ni morale. Son personnage embrasse tous les thèmes du film.

Parlons de la mise en scène. On retrouve dans Jewish Connection un style visuel proche du cinéma américain des années 1970, notamment du naturalisme urbain de Sidney Lumet.

Le générique de début est directement inspiré de celui d’ Un après-midi de chien de Lumet qui a su dépeindre New York avec une grande véracité émotionnelle. Plus généralement, je voulais retrouver la texture très particulière des films des années 1970, leur absence de vernis, leur authenticité.

Vous filmez l’appartement familial comme une prison dorée. L’éclairage à la bougie, les couleurs chaudes expriment la chaleur du foyer mais les personnages sont filmés de manière statique, dans des encadrements de portes, comme emprisonnés. Alors qu’en extérieurs, la caméra portée et les couleurs froides véhiculent un sentiment de liberté…

… et de danger. C’était exactement mon intention. Et vous remarquerez que plus Sam se détache des siens, plus il se tient au bord voire hors du cadre dans les scènes en famille. Sam vit son quotidien familial comme une prison. Pour eux, avoir une télévision est un péché et Sam se voit contraint de regarder celle de ses voisins par l’encadrement de sa fenêtre, en cachette. Comme s’il se masturbait.

Les dialogues sont très naturels : les acteurs parlent vite, se coupent la parole…

J’adore ça chez Martin Scorsese, surtout dans ses films sur la mafia. Ce ne sont pas des comédies et pourtant ce sont des films souvent très drôles grâce à la vitalité des dialogues. Et rire avec les personnages, c’est être avec eux. Pour ça, j’avais des acteurs en or : Jesse, Justin et Ari sont si vifs et réactifs. Durant les répétitions, les idées fusaient et je les intégrais ensuite au scénario. Une grande partie des dialogues est née ainsi. En parlant de Scorsese, il semble être une autre de vos influences, notamment lors de la scène où Sam et Yosef entrent au ralenti dans le night-club éclairé de rouge qui renvoie directement à Mean Streets. Scorsese est une grande source d’inspiration – que les dieux du cinéma me foudroient si j’osais me comparer à lui. La relation entre Sam et Yosef n’est pas très éloignée de celle qu’entretiennent Charlie et Johnnie Boy, les personnages d’Harvey Keitel et de Robert De Niro, dans Mean Streets. Comme Charlie avec Johnnie Boy, Sam se sent le devoir de rester fidèle à Yosef tout en sachant que ce n’est pas bon pour lui. Et, comme Charlie dans Mean Streets, Sam voit sa foi se heurter au monde moderne.

C’est le sujet central de Jewish Connection : la tradition confrontée au monde moderne.

Le parcours de Sam est celui de quelqu’un qui se cherche, partagé entre des traditions, incarnées par son père, et le monde d’aujourd’hui. C’est, je pense, une question fondamentale pour les jeunes de cette communauté.

Dans ce conflit, le rapport à l’argent est très emblématique.

Sam relie le fait de devenir un homme à celui d’avoir de l’argent. Il est très à l’aise avec l’argent, contrairement à son père. Sam se persuade que c’est parce qu’il est trop modeste que la jeune femme qui lui était destinée ne l’a finalement pas épousé – alors que rien ne nous le dit clairement, les choses ne sont pas si simples. Cette frustration va le pousser à se lancer dans ce trafic de drogues, source d’argent facile.

Tout ce que l’on voit dans le film est-il fidèle aux coutumes et traditions hassidiques ?

Les prières le sont. Le rituel du Tefillin aussi : chaque matin, les rabbins s’enroulent ces bandelettes en cuir pourvues de deux petites boîtes renfermant des bouts de textes sacrés qu’ils placent sur leur bras gauche et sur le front. C’est une manière de garder Dieu près de leur cœur et de leur esprit lorsqu’ils
prient.

On dirait aussi qu’ils vont se faire un fix.

Exact. Quand, vers la fin du film, un rabbin arrête Sam en pleine rue à Amsterdam et le convainc de mettre ses Tefillin, il le fait, d’une certaine manière, replonger dans la religion. C’est ma scène préférée : pour la première fois, Sam comprend sa foi. Croire n’est pas quelque chose de tangible qui s’apprend dans un livre ou en écoutant son père. C’est quelque chose de personnel, d’indéfinissable... Bref, quoi que ce soit, Sam le comprend à ce moment-là.

Que veut dire le titre original, « Holy Rollers » ?

Chez les chrétiens évangéliques, cela désigne les religieux qui, lorsqu’ils prient, effectuent ces grands mouvements comme s’ils roulaient sur eux-mêmes

(« rolling »). Le terme me semblait convenir à tout type de groupe religieux et, en particulier, les rabbins hassidiques qui prient de manière très similaire. Le double sens, c’est qu’en argot « rolling » désigne aussi l’ecstasy ce qui rend le titre anglais difficilement traduisible dans une autre langue…

Que pensez-vous du titre « français » ?

Je l’adore. D’autant que French Connection est un film important pour moi. Et puis ça fait complètement sens. L’idée que moi, Kevin Asch, qui suis juif, ai réalisé Jewish Connection, me fait beaucoup rire. J’ai hâte de voir l’affiche française !

Entretien issu du dossier de presse