Fabrice Gobert à la recherche de Simon Werner

Fabrice Gobert, dans votre film, vous jouez avec différents genres cinématographiques teen movie, film d’épouvante polar... sans jamais vous enfermer totalement dans aucun. Comment vous situez-vous par rapport à la notion de genre ?

L’idée était justement d’être à la croisée des chemins, de naviguer entre les genres. J’avais envie de commencer un peu comme un thriller, puis de passer d’un genre à l’autre, librement. J’adore cette idée en tant que spectateur. J’avais été frappé par “ Les Démons à ma porte ”, un film chinois de Jiang Wen qui commence sur un mode burlesque, très drôle, dans un village chinois, et puis d’un seul coup les Japonais débarquent et tuent tout le monde avec une sauvagerie atroce. Je trouve que cette manière de passer d’un genre à l’autre a du sens dans certaines narrations. Qu’elle est intéressante pour exprimer ce qui se passe dans la tête des personnages.

Justement, vos personnages structurent le film : ils ont chacun un chapitre. Pourquoi ce choix ?

Là encore, j’aime beaucoup ce genre de construction cinématographique lorsqu’elle sert le propos. Chacun à leur manière, Jérémie, Alice et les autres “ se font un film “. D’une certaine façon ils cherchent à devenir des héros, les héros de leur propre vie. Ils ont terriblement envie qu’il leur arrive quelque chose... Chaque partie nous donne de nouveaux éclairages sur l’histoire mais, en adoptant un point de vue différent et en faisant des allers et retours dans la chronologie, chacune place aussi les personnages sous des éclairages différents. En faisant passer les personnages selon les parties, du premier plan a l'arrière plan, je voulais rendre plus perceptible progressivement, la complexité de leurs personnalités.

On comprend vite qu’on n’est pas en 2010, sans être très loin dans le passé non plus. Pourquoi ce décalage temporel ?

Je suis parti d’une histoire que j’ai vécue quand j’étais en classe de première, en 1992 dans les Yvelines. Un élève du lycée avait disparu et on est resté sans nouvelles de lui pendant plusieurs semaines. J’avais envie de parler du groupe d’amis que nous formions à l’époque des questionnements que cela avait engendré entre nous. Dès lors, il me semblait évident qu’il fallait situer l’action au début des années 90. Dans un second temps, j’ai pris conscience du décalage que cela induisait avec l’époque actuelle : l’absence d’Internet, de téléphones portables... Ce décalage temporel donne une certaine étrangeté à l’ensemble. Jérémie et les autres vivent ainsi dans un endroit qui ressemble à mille autres, à une époque difficilement identifiable. Cela participe à leur sentiment de ne pas être tout à fait définis.

Aussi bien le lycée que la ville font tout de même penser à des décors de films américains...

Oui, c’était vraiment l’idée. Nous cherchions en banlieue parisienne, des décors qui puissent
devenir des décors de films américains, pour aller dans le sens des fantasmes de nos protagonistes. Pour le domaine je voulais que les maisons soient toutes les mêmes et qu’elles disposent d’un petit jardinet ouvert. Il fallait en plus qu’on sente une forêt à proximité. On a finalement trouvé la perle rare dans l’Essonne. Je souhaitais également un lycée d’époque, en béton et ouvert vers l’extérieur ; qu’il y ait des pelouses, de grandes baies vitrées, de larges couloirs... Le lycée de Bondoufle était parfait, qui plus est très cinématographique.

Comment avez-vous constitué votre galaxie de personnages ?

Suivant la même logique, je suis parti des typologies de teen movies américains que je trouvais intéressant de transposer dans la grande banlieue parisienne. Les personnages du film essayent chacun de jouer un rôle stéréotypé : le beau gosse, le sportif, la tête à claque, la marginale, la bombe du lycée, etc. Comme s’ils essayaient de se définir par rapport à ces modèles, sans y parvenir vraiment : le sportif a la jambe dans le plâtre, le comique est drôle malgré lui, l’intello est mauvais en maths, la jolie fille est une cérébrale... Et

Comment avez-vous trouvé vos comédiens ?

Avec Emmanuelle Prévost, la directrice de casting, nous avons vu une centaine de jeunes comédiens plus ou moins expérimentés. Ana Girardot (Alice), dont c’était le premier casting nous a immédiatement bluffés par sa présence et son charisme. Jules Pelissier (Jérémie) et Laurent Delbecque (Simon) se sont imposés eux aussi très vite. J’étais séduit par leur personnalité mais j’hésitais sur le rôle qui leur correspondrait le mieux. Au final, ils ont su tous les deux composer un personnage assez éloigné de ce qu’ils sont dans la vie. Il y avait certains comédiens que j’avais déjà vus et beaucoup aimés au cinéma comme Esteban Carvajal-Alegria (Luc) dans La Belle Personne Arthur Mazet (Jean-Baptiste Rabier) dans Nos jours heureux ou Selma El Mouissi (Laetitia) dans J’ai toujours rêvé d'être un gangster. Pour Audrey Bastien (Clara) et Yan Tassin (Frédéric) Simon Werner a disparu... était une première expérience cinématographique. Comme pour moi...

Quel est votre parcours avant ce premier long-métrage pour le cinéma ?

Jusqu’à présent, j’avais surtout eu l’occasion de travailler pour la télévision. J’ai réalisé notamment une série de documentaires sur les premiers films de cinéastes reconnus. J’ai aussi travaillé sur une série très réaliste : de jeunes étudiants en internat filmés un peu à la manière d’un reportage. C’était quelque chose de très instructif à faire.

Pour Simon Werner a disparu..., comment avez-vous travaillé avec vos acteurs ?

J’avais une idée assez précise des personnages et je leur ai beaucoup parlé avant le tournage. J’ai rédigé des notes biographiques pour chacun qui parlaient de leurs rapports avec leurs parents, de leurs résultats scolaires, de leurs expériences sexuelles, de leurs goûts en cinéma, littérature ou musique. Egalement pour chacun, j’ai imaginé une play list de chansons de l’époque. Ensuite, chaque comédien y a apporté sa personnalité, sa façon de marcher, de parler, et a donné une authenticité à son personnage.

La musique est très présente dans le film...

Au lycée, j’écoutais beaucoup de musique, de rock en particulier. J’avais une liste de titres datant du début des années 90 que nous écoutions sur le tournage. Certaines sont restées dans le film. Pour la musique originale du film, j’avais envie qu’elle soit composée par un groupe de rock et si possible emblématique de l’époque. Il fallait quelque chose de singulier pour que la musique soit un vrai personnage. Un personnage qui ne serait jamais exactement où on l’attend. Une entité à part entière, qui exprimerait ce que les héros du film n’arrivent pas à exprimer eux-mêmes.

Vous avez donc fait appel à Sonic Youth...

Pendant la préparation, j’ai beaucoup écouté Sonic Youth. Il y avait quelque chose qui correspondait tout à fait à l’univers du film, quelque chose d’évident, qui tenait à la puissance, à la singularité et à la mélancolie qui émanent de leurs chansons. Avec mes producteurs, nous nous sommes pris à rêver qu’ils composent la musique.

Pouvez-vous parler du travail sur la lumière ?

J’avais une référence le photographe américain Gregory Crewdson qui transforme les paysages ordinaires de banlieue américaine en des lieux extrêmement effrayants et angoissants. La lumière y est fabriquée, artificielle elle exprime l’inconscient des personnages photographiés. C’était vraiment une des idées du film : utiliser toute la palette qu’offre le cinéma ( lumière, montage, musique, etc) pour transcender la vie que les personnages du film jugent beaucoup trop ordinaire. Pour le chef opérateur, j’ai tout de suite pensé à Agnès Godard, dont j’admire beaucoup le travail. Je trouve qu’elle a ce talent particulier de sublimer l’ordinaire et de créer du mystère de l’étrangeté. Elle a eu envie de faire ici des expériences, que l’on tente d’être audacieux, ce qui m’a ravi !

En fonction du point de vue de chaque personnage, vous adoptez une lumière et un cadre spécifique…

Le film est divisé en quatre chapitres, chacun étant centré sur u personnage principal,. Pour Agnès, c’était un peu comme si on avait quatre films à tourner. Sans être trop schématique. Chacun devait avoir sa grammaire propre. Pour la première partie. Celle de Jérémie. La plus classique. On tournait avec un objectif standard. On avait envie de le suivre tout le temps, donc la caméra était souvent en mouvement… Dans la deuxième partie. Celle d’Alice. On avait envie d’être vraiment sur le visage d’Ana Girardot. On utilisait des focales plus longues, on était plus serré sur elle, qui la mettait en valeur. Jean-Baptiste Rabier, lui, était filmé en plans larges. Ce n ’est un personnage solitaire, qui évolue très bien dans les décors, notamment dans le lycée vide. Il est un peu l’architecte du lycée. Pour la dernière partie, celle de Simon, la caméra était en permanence embarquée avec lui.

L’adolescence est pour vous un âge cinématographique ?

C’est en tout cas un sujet qui m’intéresse beaucoup. Les adolescents du film tentent de se définir d’exister... Ils doivent aussi gérer leurs peurs, leurs angoisses, le stress généré par leurs parents, par la société... Ils se sentent menacés, ont du mal à se projeter. A l’origine, ce qui m’intéressait avait à voir avec le fantasme la manière dont on fantasme sa vie mais aussi celle des autres. C’est une thématique universelle, qui est sans doute exacerbée à cet âge de la vie.

Interview tirée du dossier de presse de Simon Werner a disparu....