Glastonbury par Julien Temple...

" Les pieds dans la boue, les hommes sont tous égaux ".

Vous allez sûrement entendre parler du réalisateur britannique Julien Temple, jusqu’alors peu connu du grand public. Pionnier du film rock et doublement à l’affiche cet été avec deux docs sur deux légendes : Glastonbury ou l’histoire du plus vieux festival au monde (sortie le 18 juillet) et Joe Strummer, the future is unwritten ou l’histoire d’un homme qui changea la face de la musique, et peut-être bien plus encore… (le 11 juillet).

Camarade de beuverie des Sex Pistols et des Clash, Temple tourne son premier film en 1979 La grande escrocquerie du Rock’n’roll, voyage déjanté à l’intérieur du monde Pistolien, et considéré par certain comme le "Citizen Kane du film musical". Pionnier du vidéo clip, il travaille avec, entre autres, Mick Jagger, Neil Young et David Bowie, tout en tournant des long métrages, documentaires et des comédies musicales. On l’aura compris, cet homme a accompagné l’énorme révolution culturelle de ces trente dernières années, filmant les légendes pour mieux en faire des hommes, jamais l’inverse.

Alors forcément, passer 15 minutes avec un homme au réservoir d’anecdotes aussi vaste qu’une culotte de grand-mère s’avère excitant, mais forcément frustrant. Le personnage est discret, la voix monocorde et traînante distille les mots entre deux bouffées de cigarettes…

Comment êtes-vous arrivé sur ce projet, né en 2002, alors que le Festival de Glastonbury était menacé... ?
Après les événements de 2000, où plus de 300 000 personnes avaient accédé au site au lieu des 100.000 prévus, les autorités britanniques ont décidé d’annuler le festival de 2001. Michael Eavis (ndlr : fondateur et organisateur du Festival) a dû adapter le lieu aux exigences de sécurité. Il donc installé une clôture tout autour du site, des miradors, des policiers en factions… Et il était inquiet pour l’avenir du festival, sachant que ces mesures iraient sans aucun doute à l’encontre de "l’ esprit de Glastonbury". Il m’a donc demandé de filmer le Festival de 2002, qui pouvait s’avérer être la dernière édition. Je suis donc venu avec une dizaine de caméras et dans l’esprit, l’idée que cela serait simplement un "enregistrement", une sorte de trace, pas un véritable long-métrage avec un montage etc… Mais filmer une seule année d’un festival comme Glastonbury m’ait vite apparu sans réel intérêt par rapport à l’Histoire qui précédait. 35 ans s’étaient écoulés et l’on pouvait, à travers le miroir de Glastonbury, parler de l’Histoire du monde. J’ai donc suggéré à Michael de faire un film sur l’histoire du festival et son évolution à travers le temps, et il a accepté.

Le festival a évidemment évolué, de plein de façons différentes. Mais une chose reste inamovible : le lieu et ce mysticisme caractéristique que vous décrivez dans le film...
Oui, et j’espère d’ailleurs avoir aborder le sujet avec humour. Car cet endroit, dans la psyché britannique, est surnommé la "Jérusalem anglaise". Son histoire est très ancienne. Selon la légende Gaëlique, Glastonbury était à l’origine une île magnifique où fut enterré le Saint Graal. Les rois d’Angleterre, dont le fameux Roi Arthur, considéraient cette terre comme sainte, certains pensaient que Jesus-Christ y avait séjourné durant son enfance… Vous voyez, c’est un peu un mélange de légendes Celtes, Catholiques, Gaëliques…

Et certaines personnes viennent au festival de Glastonbury pour se recueillir, pas seulement pour la musique…
Oui, tout à fait, certains vont là-bas en pèlerinage.

Comment expliquez vous la longévité du Festival (ndlr : depuis 1971) ?
Je pense que c’est grâce à Michael Eavis. C’est un homme incroyable. À la base c’est un fermier qui n’aurait jamais dû se retrouver embarqué là-dedans…Mais il a permi au festival d’exister et surtout, même dans les pires moments, il a toujours trouvé une solution pour sauver Glastonbury. Que ce soit dans les années 90 et les problèmes qu’il a eu avec les "travellers", ou plus récemment avec tout ce système de sécurité, il a toujours agit pour le bien du Festival. Par exemple pour les clôtures, il a dû convaincre les hippies, tous les libertaires – et ils sont nombreux à Glastonbury – que c’était un mal nécessaire pour la survie de l’événement. C’était dur, mais je pense qu’aujourd’hui il a réussi et c’est pourquoi le Festival peut cohabiter avec les impératifs du monde moderne.

Vous pensez, justement, que Glastonbury pourra survivre à Michael Eavis ?
Je ne sais pas. Il a une fille formidable et je pense qu’elle pourrait prendre le relais. Mais, vous savez, c’est le travail d’une vie. A peine le festival terminé, Michael pense déjà à la prochaine édition. C’est une véritable ville qui émerge chaque année. C’est d’ailleurs la plus grosse ville de tout l’Ouest… Deux semaines par an.

Si vous deviez garder un seul souvenir de Glastonbury…
Je pense que la première fois, en 1971, restera la plus marquante pour moi. J’étais encore adolescent, mes parents ne savaient pas que j’étais là-bas. Et c’était une période très spéciale pour moi, où je commençais à m’ouvrir au monde, en quelque sorte. Une nuit, vers quatre heure du matin, alors que tout le monde dormait, un type que je ne connaissais pas est venu me réveiller : "Réveille toi, tu dois venir voir ce type." Et tout le monde réveillait son voisin, sans savoir vraiment pourquoi... Et le type en question c’était un certain David Bowie, inconnu à l’époque. Il était habillé avec une grande robe, seul avec sa guitare. Ce fut vraiment un grand moment…

Propos recueillis par Guillaume Garnier (Paris, juin 2007)