Interview d'Andreas Dresen au Septième ciel...

À l’occasion de son dernier passage à Paris, Andreas Dresen (Grill Point) nous a parlé de son dernier film Septième ciel, Coup de Cœur du Jury de Cannes 2008 dans la catégorie Un Certain Regard. À travers ce film magnifique traitant des relations amoureuses entre des personnes d’un certain âge sur un ton quasiment inédit dans le cinéma contemporain, Dresen nous livre une poignante leçon de vie en montrant que la jeunesse est avant tout un état d’esprit.

De quoi vous êtes vous inspiré pour faire ce film, vous qui êtes pourtant encore jeune et loin du quotidien de ces personnes âgées ?

Je ne suis pas si jeune, j’ai 45 ans et je continue à vieillir (rires). J’ai moi-même commencé à être confronté à des problèmes comme dans le film, cela arrive à tout le monde. Mais, vous avez raison, ça peut sembler encore très loin.

Pendant les années 1990, j’ai vu un film d’un ami belge. Un petit documentaire de vingt minutes pour Arte, Le mari de ma grand-mère, où sa propre grand-mère parlait de l’homme de sa vie, ainsi que de leurs relations sexuelles actuelles. À l’époque, c’était nouveau pour moi de savoir que des femmes de soixante-dix ans pouvaient toujours se procurer du plaisir ! Cela m’a choqué ! (rires) Mais après, elle a raconté qu’elle avait eu une crise cardiaque et qu’elle avait dû arrêter de peur d’en mourir (rire). J’ai commencé à voir le sujet d’un œil complètement différent.

Ensuite, il y a deux ans, j’ai regardé une film espagnol, Elsa & Fred, qui montrait aussi deux retraités qui tombent amoureux. C’étaient des personnages marrants, sentimentaux, qui se donnent la main... Mais sans la sexualité, le film restait très clean, ce qui m’a énervé. Pourquoi ne peut-on pas montrer les personnages âgés d’une façon différente, pourquoi est-ce que notre société les jette lorsqu’ils sont à la fin de la cinquantaine ? Il semblerait qu’ils n’aient plus le droit d’avoir des grandes émotions, des histoires d’amour, qu’ils sont finalement déconnectés de la vie.

C’était notre point de départ : parler des personnages âgés d’une façon un peu différente, de montrer une histoire d’amour comme les autres, avec de la sexualité, des hauts et des bas.

Pourquoi ce titre, Wolke Neun, qui a été traduit en Septième Ciel en Français ?

En Allemand, Wolke Neun est une expression un peu étrange. L’expression normale pour désigner une grande émotion, une impression de planer, c’est Wolke Sieben (« Septième Nuage », ndlr). C’est un peu comme le terme septième ciel en Français. Wolke Neun, c’est deux étapes au-delà, donc à vrai dire il aurait fallu le traduire Neuvième Ciel !

Pensez-vous que l’amour se bonifie avec l’âge ?

Quelquefois fois, cela dépend des personnes. Mais si l’on en croit certains témoignages, la sexualité peut s’améliorer lorsqu’on vieillit. On a plus d’expérience, on peut prendre son temps. Quand on est jeune, on apporte nos soucis quotidiens dans la chambre à coucher, et l’angoisse prend le dessus sur le plaisir. Certaines personnes âgées avouent que leur vie sexuelle s’est améliorée. On ne peut que s’en réjouir, en se disant que le meilleur est à venir ! (rires)

Par rapport aux scènes d’amour, qui apparaissent dès le début du film, n’aviez-vous pas peur que cela choque le spectateur et qu’il ne comprenne pas votre démarche ?

Nous avions peur de cela, mais ce n’est pas arrivé jusqu’à maintenant. Personne n’est parti après cinq minutes de film ! (rires) Nous voulions vraiment montrer la sexualité dés le début du film, que l’on voit une femme courir dans la rue, sonner à une porte, rencontrer un homme, et qu’ils soient ensembles sur la moquette deux minutes plus tard. Au début d’une relation, la sexualité a un rôle très important.

On ne voulait surtout pas faire attendre les spectateurs. Dans un film romantique classique, ce genre de scène arrive après 50 minutes, après leur premier rendez-vous, la première tasse de café et le premier baiser ! Nous préférions commencer par cela, pour ensuite passer aux choses plus importantes. L’histoire ne débute vraiment qu’après la scène d’amour.

Ce qui est assez intéressant, c’est que quand on regarde cette scène, on a l’impression de voir non pas deux retraités, mais plutôt deux adolescents un peu maladroits, et l’on s’identifie encore plus aux personnages.

N’ayant pas leur âge, j’ai dû faire confiance à mes acteurs. Nous en avons beaucoup parlé ensemble, en regardant plusieurs films, comme Intimite ou 9 songs. Le but était de montrer des scènes d’amour les plus réalistes possible, sans voyeurisme. Dans les films classiques, on voit des scènes avec des jeunes acteurs, où tout se passe très bien, tout a l’air très beau, ce qui est très frustrant pour le spectateur, qui se sent coupable de ne pas être à la hauteur dans sa vie de couple ! Donc oui, on voulait montrer des gens normaux, où tout n’est pas glamour mais où les choses sont plus proches de la réalité. Ce sont des personnes âgées, un peu ridées, mais qui sont belles à leur manière. De plus, en les montrant de cette façon, on enlève un peu au spectateur la peur de vieillir.

Dans le film, vous alternez souvent votre façon de filmer, entre des plans très rapprochés, caméra à l’épaule, et des plans plus stables. Pourquoi avez-vous fait ces différents choix selon les scènes ?

Cela dépend souvent du style de jeu des acteurs. Il faut savoir que le film a été entièrement improvisé, il n’y avait pas de scénario écrit, pas de dialogues, juste le synopsis. Je devais donc faire confiance aux acteurs. Pendant ces scènes de nuit, où le couple se dispute, il fallait courir derrière eux, on ne savait pas dans quelles pièces ils allaient aller, ils suivaient leurs émotions. Tout ce qu’ils disent vient directement de leur cœur. De ce point de vue, la caméra à l’épaule s’est imposée naturellement.

À l’inverse, pour les scènes où l’on devait suivre les acteurs et les personnages dans leur traintrain quotidien, il fallait des plans plus fixes. Ils ont tellement construit, accumulé, avec les livres, les vinyles, qu’il fallait les montrer au milieu de cet environnement. Ces plans stables du décor dévoilent comment il est dur de bouger après trente années de mariage, et de se déplacer vers une autre vie. Au final, ce sont à la fois les contraintes techniques et une volonté artistique et esthétique qui nous ont donné envie de faire ces différents plans.

Werner, le mari de Inge, est vraiment le personnage tragique du film. Lui ne conçoit pas que sa femme puisse le quitter alors qu’il a plus de soixante-dix ans. Est-ce que pour vous l’amour peut devenir un acquis, ou doit-on toujours être capable de questionner nos sentiments et ceux de notre partenaire ?

Oui, je pense vraiment que cela peut arriver à n’importe quelle partie de notre vie, il n’y aucune garantie pour rien. En Allemand, nous avons un beau terme, « lebensplan », le programme de votre vie. C’est l’idée de savoir, par exemple, à 25 ans comment on va être à 70 ans, avec la maison, la femme, les petits-enfants, un beau voyage par an, etc… Mais tout peut changer, il n’y a aucune sécurité, et c’est peut-être l’aspect le plus troublant du film.

Ce qui est également intéressant, et quelque peu dramatique, c’est que sa propre fille dit à Inge de ne pas briser son couple, et de s’amuser en peu tout en restant avec Werner.

Je pense que j’aurai la même réaction que sa fille si ma mère me racontait une telle histoire. Je ne voudrais pas être moralisateur, en disant à ma mère de ne pas tromper son mari, mais en même temps, je lui dirai de faire attention, et de ne pas lui briser le cœur. Je trouvais l’idée intéressante que notre société, dans un cas comme celui-là, respecte plus le mensonge que la vérité. Inge se confie à son mari parce qu’elle l’aime toujours, et qu’elle ne peut plus le regarder dans les yeux, mais au final, les gens ne respectent pas ce choix. Elle est très courageuse, et tout ce qui se passe dans l’histoire est lié à ses propres décisions.

Avez-vous pensé à inclure dans le film une scène de confrontation entre les deux personnages masculins ?

Nous y avons pensé, et nous l’avons fait ! (rires) Mais je l’ai coupé au montage. On avait filmé une scène pendant un concert de la chorale où chante Inge. Werner arrive à la représentation, un peu tard, au fond de la salle, avec une rose. À la fin du concert, il va la voir pour essayer de la reconquérir, et il se rend compte que Karl est également là. S’en suit une petite confrontation, un peu comique car ils essayent de se battre comme des jeunes hommes très machos (rires). Mais la scène m’a semblé trop superficielle et trop dramatique, elle n’apportait rien à l’histoire. On a même voulu étoffer le personnage de Karl, en lui rajoutant une histoire de veuvage, pour expliquer pourquoi Inge tombe amoureuse de lui. Mais c’était stupide, on ne peut pas expliquer pourquoi quelqu’un tombe amoureux ! Ça se trouve, c’est un con, mais cela n’y fait rien.

Pouvez-vous nous présenter la chorale que l’on voit tout le long du film et dans laquelle participe Inge ?

C’est une vraie chorale, et une des amies d’Ursula Werner chantait dedans. C’est elle qui m’a proposé qu’Inge y chant. J’ai trouvé cela intéressant dès le début, pour plusieurs raisons. Si la vie d’Inge semble changer complètement, il y a un seul élément constant, c’est la chorale, toutes les semaines, à la même heure. Elle retrouve ces vieilles dames, qui étaient très gentilles, très optimistes, je les aimais beaucoup. Toutes ces scènes sont dans un style documentaire, sans mise en scène. À la fin, j’ai pu choisir entre toutes les chansons qui avaient été chantées pendant huit semaines. Grâce aux thèmes des paroles que j’ai essayées d’associer à l’histoire, la chorale est devenu un peu comme le chœur dans les tragédies grecques.

Je me suis aussi dit qu’en voyant les visages de ses vieilles dames, le spectateur peut se demander ce qu’il se passe dans leurs vies à elles, en comparaison à celle d’Inge. Cela permet de donner un peu plus de profondeur à l’histoire.

On a même filmé une scène où Inge se confiait à ses copines, en demandant conseil. Elles étaient géniales, certaines disaient de ne pas prendre un vieil homme, qu’elle ne serait que son infirmière, d’autres disaient que c’était une merveille nouvelle qu’elle redécouvre l’amour. Cela fera une très bonne séquence sur le DVD !

Les questions sur la retraite animent de nombreux débats, en France ou en Europe. Finalement, voyez-vous la retraite comme quelque chose de positif, ou voulez-vous continuer jusqu’au bout ?

La société ne devrait pas choisir pour nous le moment où l’on souhaite prendre sa retraite. Il y a quelques siècles, un fermier sur sa terre avait ses enfants avec lui, qui reprenaient l’affaire familiale petit à petit, pour qu’il puisse un jour décider d’arrêter. C’est un moyen très naturel de vivre en famille. Les grands-parents mourraient dans la même pièce où jouaient les petits-enfants, et peut-être que grâce à cela, ils perdaient la peur de vieillir. J’espère avoir la chance de décider par moi-même. Peut-être que je n’aurai plus la force de faire un film, ou qu’on arrêtera de vouloir produire mes œuvres.

La question de la retraite, c’est une question d’argent, et quand on se rend compte que l’on ne peut pas payer les rentes pour tout le monde, on prolonge la durée de travail. En Allemagne, comme peut-être en France, les jeunes générations payent la retraite des vieux, sans qu’ils soient assurés de toucher à leur tour cette même assurance. Cela crée des conflits générationnels, ce qui n’est pas un système sain. Enfin, les personnes de la cinquantaine ont du mal à trouver du boulot. Pour moi, cela devrait être une question de volonté et de capacité à travailler, pas seulement d’âge : on vieillit tous différemment.

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Propos recueillis par Nicolas Ferminet (Paris, octobre 2008)