Interview de Bard Breien...

L'art de l'entretien positif...

L’humour noir serait-il un art de vivre de la culture scandinave ? À l’occasion de Cine Nordica, la semaine des cinémas suédois et norvégien au Cinéma du Panthéon à Paris, Bard Breien est venu présenter son premier film, L'art de la pensée négative. L’histoire d’un homme, devenu handicapé après un accident, qui se renferme sur lui-même à coup de misanthropie. Sa femme va lui imposer la visite d’un groupe prônant la pensée positive, mais avec des conséquences pour le moins inattendues… Le temps d’une rencontre autour d’une bière, Breien nous a livré les clés de son univers si particulier.

Pourquoi avez-vous choisi ce sujet assez noir et difficile pour votre premier long métrage ?

J’avais déjà réalisé un film, un court-métrage de 20 minutes, qui avait un thème assez similaire, axé autour de la psychologie humaine. Filmée comme un documentaire, l’histoire parlait d’un tueur à gages, très fort, très dur, mais qui se retrouve avec un problème de dos qui le condamne à arrêter son métier et à toucher le chômage. Un homme de l’assistance sociale essaye de le faire revenir à la vie en lui trouvant une petite amie, en le faisant reprendre contact avec sa mère… Le film touchait déjà à cette idée de comment la vie peut prendre parfois une tournure très négative, le tout avec beaucoup de cynisme.

J’ai donc développé L’Art de la pensée négative à partir de là, et de l’idée d’un homme handicapé qui se retrouve face à un groupe prônant l’art de la pensée positive m’a beaucoup fait rire. J’en ai parlé à un de mes amis pendant un concert qui lui aussi s’est bien marré. Je pense qu’en même temps, je m’identifiais à sa situation, mais je voulais surtout en rire.

Il y a-t-il donc une part de vous dans le personnage principal, Geirr ?

Je connais tout à fait les sentiments qu’il ressent même si je ne me sens pas forcément aussi enfermé. Il suffit d’allumer la télévision pour que l’on voit tous ces idiots qui sourient tout le temps, sans comprendre pourquoi. Je suis moi-même constamment face à ce genre de personnes.

L’art négatif n’est-il pas également un piège qui mène à l’autodestruction ?

Il y a effectivement cet aspect, mais ça vous permet avant tout de vous plonger dans votre propre merde pour en arriver à la source du problème. C’est ce que les personnages essayent finalement de faire. Ils suivent une méthode qui leur demande d’oublier leurs problèmes, alors qu’ils ont en réalité besoin de les confronter.

Contrairement aux autres personnages, qui sont handicapés, Lillemor, jouée par Kari Simonsen, ne semble pas avoir vraiment de problèmes physiques, simplement un manque de confiance en soit. Pourquoi avoir rajouté ce personnage ?

Je me suis inspiré de ma mère. Elle aussi, avant, menait une vie tranquille, pas très riche mais heureuse, avec mon père, qui lui était un connard. Quand ils ont divorcé, elle s’est retrouvée toute seule dans un petit appartement, et elle ne l’a pas supporté. Mon producteur me disait tout le temps qu’on ne pouvait pas avoir ce personnage dans le film, car elle n’a pas vraiment de problème, personne ne l’accepterait. Mais, quand j’essayais de l’enlever, tout devenait trop sérieux ! Pour moi, elle a des difficultés un peu plus normales, elle veut tout simplement redevenir une femme aisée, revenir vers un passé plus glorieux.

Justement, par rapport à ce côté sérieux que vous mentionnez, comment fait-on, quand on écrit sur un tel sujet, pour que le film reste une comédie et ne tombe pas dans la tragédie ?

Pour moi, les éléments les plus drôles sont ceux qui sont en relations avec notre condition d’être humain et nos peurs internes. Je ne pense pas que l’on soit totalement ridicule, mais si on regarde les gens de loin, on se rend compte que leurs problèmes sont souvent comiques.

Donc, quand j’ai écrit le film, je me concentrais avant tout sur qui m’amusait, je me basais sur mon propre sens de l’humour. Quand on a finalement tourné, je ne me disais pas « tiens, ça sera la scène émouvante », je voulais tout simplement que cela soit drôle. Dans ma conception du cinéma, lorsque le film devient un peu fou, un peu imprévisible, les spectateurs sont beaucoup plus entraînés, contrairement à un film hollywoodien trop classique. Mais c’est vrai que j’étais très angoissé, car si le film n’était pas drôle, alors ce serait une histoire terrible !

Les acteurs ont-ils eu des hésitations ?

Je leur ai juste dit qu’il fallait être le plus réaliste possible, être très précis sur la psychologie des personnages, c’était de très bons acteurs et ils n’ont eu aucun problème.

Mais certains producteurs, par exemple, ont refusé de financer le film. Pour le personnage de Lillemore, j’ai essayé de trouver plusieurs actrices, mais beaucoup ont refusé, déclarant qu’elles ne voulaient pas jouer un personnage si ridicule.

Vous n’aviez pas peur également d’insulter les handicapés ?

Quand j’ai commencé à écrire, je me demandais si je n’allais pas trop loin, mais en même temps je voulais repousser les limites. Je n’ai pas eu de contacts avec les handicapés, je n’étais pas vraiment intéressé par leurs conditions en tant que telles, mais plutôt par l’aspect psychologique imposé par leurs contraintes, il faut se rappeler que ce sont avant tous des êtres humains comme nous. On a trop souvent tendance à l’oublier.

Quand nous, les gens dits « normaux », faisons des films sur les handicapés, nous essayons de raconter une histoire positive, nous les utilisons pour faire un film avec beaucoup de pathos… Moi, je voulais les utiliser d’une manière un peu différente.

La sexualité est également un thème récurrent dans le film, les personnages sont tous confrontés à ce problème.

C’est vrai que l’essence de la situation de Geirr, c’est son impossibilité de faire l’amour à sa femme : il la regarde dormir, mais ne se sent plus comme un homme. Et ça, c’est vraiment affreux…

Le pire qui puisse arriver à homme ?

Pas le pire, mais c’est vrai que cela touche aux origines même de la masculinité.

Vous faites référence à beaucoup de films sur la guerre du Vietnam, comme Apocalypse Now ou Voyage au bout de l'Enfer. J’ai aussi repéré une fine allusion au film culte britannique, Withnail et Moi.

Bien sûr, avec le joint à la fin, qui fait référence à la fameuse Camberwell Carrot !(Rires) J’avais besoin de cette blague. Et puis, j’adore ce film, il est incroyable.

Les deux films semblent également partager l’idée de thérapie et d’évasion à travers l’alcool et la drogue.

(Rires) Je n’y avais pas vraiment pensé. Mais c’est vrai, il y a cette idée de perte de contrôle, c’est un des thèmes de mon film. Les personnages essayent d’obtenir une sorte de liberté personnelle, pour ressentir et être ce qu’ils sont vraiment. C’est une des raisons pour laquelle on boit. Mais ce n’est pas le sujet le plus important.

Beaucoup de réalisateurs scandinaves, comme le danois Anders Thomas Jensen et le norvégien Bent Hamer, réalisent des films plutôt noirs, surtout centrés autour d’anti-héros. Est-ce lié à la culture scandinave ?

D’une certaine manière. Je ne pense pas que l’on croie vraiment aux héros. On croit plus en l’homme de base, avec ses défauts. Nous nous sentons très différents de la vie comme elle est dépeinte par le cinéma hollywoodien.

Le fait que vous référenciez autant le cinéma hollywoodien, ainsi que Johnny Cash, était-ce pour faire en sorte que le film soit plus compris au niveau international ?

(Rires) Il y a effectivement un peu de cet aspect. Quand on fait une référence, il faut que cela parle à un maximum de personnes. Mais c’est également une vérité, mes artistes préférés sont américains, beaucoup de mes films favoris sont américains, ce qui est un peu ridicule en soit : en Europe, il est interdit d’adorer les Etats-Unis ! En Norvège, beaucoup de personnes adorent l’Amérique, et bien sûr, elles sont stupides ! Mais, pour être honnête, moi aussi, et donc c’était une manière de s’en amuser, de revenir vers le passé, vers les héros de notre jeunesse.

Y a-t-il finalement une possibilité pour que l’art de la pensée négative devienne aussi une thérapie à part entière ?

(Rires) Pourquoi pas ? On doit tous apprendre à se libérer. Vous, les Français, vous buvez beaucoup de vins, et cela vous fait du bien, vous prenez les choses moins au sérieux !
Mais honnêtement, je ne suis pas certain que cela soit aussi thérapeutique que ça…

=> Toutes les infos sur L'art de la pensée négative
=> Toutes les infos sur Bard Breien

Propos recueillis par Nicolas Ferminet (Paris, novembre 2008)