Interview de Bill Plympton

A l’occasion de la sortie de son dernier film et de l’exposition de certains de ses dessins, Bill Plympton est venu faire un petit tour à Paris, et nous a fait l’honneur de nous recevoir pour une interview qui s’est vite transformée en une discussion entre amis. Rencontre avec le réalisateur des dessins les plus déjantés du moment.

Des Idiots et des Anges est certainement votre film le plus noir : un homme, égoïste et méchant, se réveille un matin avec des ailes qui l’obligent à faire le bien. Ce qu’il refuse, par tous les moyens. Êtes-vous si pessimiste sur la nature humaine ?
(Rires) Non. Mais je pense que les films doivent être sombres. Je ne crois pas que les gens veulent voir des films joyeux, où tout le monde danse et chante, mais plutôt des drames. Un conflit. Le scénario des Idiots et des anges est parfait pour illustrer un conflit.
C’est vrai que mon humour est plutôt noir, très démoniaque. Et je crois que le public apprécie.

Le conflit est quand même très violent : c’est un combat contre soi-même et contre les autres, aux répercussions physiques et mentales.
Oui. La scène où il veut se couper les ailes à la tronçonneuse explique bien ces conflits. C’est ma scène préférée ! Elle est extrême, et c’est pour ça qu’elle est drôle, tout en étant tragique !
Vous savez, mes parents n’aiment pas ce film. Ils voudraient que je fasse des films innocents et gentils. Mais j’aime faire des films pour adultes. C’est le problème de l’animation, aux Etats-Unis : elle est stigmatisée comme étant réservée aux enfants.
Petit, je voulais travailler pour Walt Disney. Mais plus maintenant. Ce qui m’intéresse, ce sont les choses, pour adultes, que je ressens : la jalousie, la haine, le sexe, la violence… Pas les gentils petits animaux qui se baladent dans les bois !

Ce film est votre film le plus sombre, le plus violent : les personnages sont égoïstes et brutaux. Ils n’hésitent pas à faire du mal pour arriver à leurs fins. Vous utilisez beaucoup l’humour noir, mais on ne peut s’empêcher de vraiment se sentir mal à l’aise. C’est un tournant dans votre carrière ?
Oui, c’est très certainement un tournant dans ma carrière. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse de mon film le plus violent. Le plus sombre, oui. Il est très européen. D’ailleurs, la productrice est serbe ! On ressent fortement une influence de l’Europe de l’Est, de ces films très noirs et très sombres. C’est très kafkaïen : le « héros » se réveille métamorphosé, avec ces ailes qui ont poussées dans son dos. Comme si l’insecte s’était transformé en un magnifique papillon, tout en ne restant qu’un insecte.
Mais le film est plus sombre parce que je voulais faire quelque chose de plus mature. Mes comédies précédentes étaient plus juvéniles. Des idiots et des Anges a plus d’intensité dans l’intrigue, les personnages sont plus développés. Il y a plus d’âme. J’ai beaucoup aimé faire ce film, qui a l’avantage d’être peu cher et très amusant à créer. Je crois que je vais continuer dans cette direction-là.

Après Hair high, qui utilisait une animation plutôt classique et sage, vous revenez à ce qui caractérisait vos autres films : beaucoup de lignes et de mouvements, de texture… On a souvent dit que Hair high était votre film le plus abouti. Peut-on dire que Des Idiots et des Anges est votre film le plus personnel ?
C’est certainement mon film le plus personnel. Le personnage, Angel, a beaucoup de moi en lui, quelque chose que je voulais explorer. Il fait des choses stupides, et je suis souvent stupide aussi (rires). Et j’essaye de faire de mon mieux après !
Mais c’est souvent ce que font les réalisateurs : ils explorent une partie d’eux-mêmes. C’était un bon moyen de m’interroger sur les deux parts de moi-même : sombre et bonne.
Après Hair High, qui a été mon grand film, j’ai eu envie d’un petit film. Juste moi et mon crayon. Sans penser au public, aux distributeurs… Alors imaginez ma surprise lorsque le film a été applaudi lors des projections test ! Je ne comprenais pas, puisque ce film m’était destiné ! Le public a dû comprendre que j’étais honnête, et a apprécié.

Pour revenir à Hair high… Il y a quelque chose de Quentin Tarantino dans ce film : la violence, l’importance de la musique, le goût des références. Je crois que vous le connaissez bien. Vous avez une conception similaire du cinéma ?
Oui. C’est un vieil ami ! Je l’ai rencontré à Sundance en 1991. Je présentai The tune, et lui Reservoir dogs. Il était la sensation du festival. Tout le monde était horrifié par la scène où Michael Madsen coupe l’oreille du flic. Et Quentin s’amusait de voir les gens qui partaient, horrifiés, lors de cette scène ! Ca le faisait beaucoup rire !
C’est vraiment quelqu’un de très intelligent. Il connaît mes films et mon travail. On s’entend bien sur ces plans-là. J’aime beaucoup ses films, basés sur la violence humoristique, sur « l’immoralité ». Il est un de mes héros. D’ailleurs, dans Kill Bill, lorsque Uma Thurman se marie (scène d’ouverture), elle épouse M. Plympton ! Il m’a mis dans le film !

Ce qui est surprenant dans vos films, c’est l’opposition entre la violence extrême et un romantisme très naïf . Pourquoi ce contraste ?
Ce sont des dessins animés ! Tout y est exagéré. L’amour est « plus », la violence est « plus » aussi. Je ne veux pas faire de films minimalistes, simples et intellectuels. C’est pour ça que j’aime réaliser des dessins animés, pour la capacité qu’ils offrent à partir dans l’extrême.

Vous avez aussi un goût prononcé pour la musique. D’ailleurs, vous avez réalisé des clips pour Madonna ou Kanye West. Est ce que la musique et le dessin sont vos deux passions ? Et avez-vous réalisé un film muet pour leur donner les rôles principaux, comme en hommage au film muet ?
Non, ce n’est pas pour ça. Il y a trois raisons. Premièrement, c’est moins cher, car il n’y a pas besoin de faire de doublages ni de sous-titres. Deuxièmement, il n’y a pas besoin de faire tous les mouvements des lèvres, ce qui est très long et ennuyant. Enfin, je trouve que c’est très émotionnel et personnel. C’est très poétique comme démarche.
J’avais déjà fait des films muets, mais en courts-métrages. Le défi était de faire un long-métrage qui réussirait à intéresser le public. Je n’étais pas sûr d’en être capable.

Vous avez une relation assez particulière avec l’Europe. Définiriez-vous votre travail comme américain ou plutôt européen ?
Je crois que Hair high est plutôt américain. Dans l’époque (les années 50), dans la musique (la country). L’humour est plutôt américain aussi : visuel, anarchiste, un peu fou. L’animation est plutôt européenne, c’est vrai. Des réalisateurs comme Jacques Tati ou Ionesco sont de grandes influences.
Pour une raison que j’ignore, mes films sont très appréciés en France et en Espagne (rires) ! Même si j’ai de plus en plus de gens qui apprécient mon travail aux USA. Mais c’est dur de trouver des distributeurs, l’animation restant encore associée aux films pour enfants. Même si ça commence à changer, avec des films comme Valse avec Bachir ou Persepolis….

Justement ! Aujourd’hui, l’animation par informatique, celle de Pixar et Dreamworks, semble avoir remplacé l’animation classique. Cette dernière se penche maintenant sur des sujets plus politiques. Pensez-vous qu’il y a une scission entre ces deux « courants » ?
C’est la première fois que j’entends cette théorie… Mais ça semble vrai. Il faut aussi penser aux films de Tim Burton (Les noces funèbres), ou au prochain Henry Selick (Coraline), qui sont plutôt pour les adultes… Il y a bien une séparation entre l’animation de synthèse, destinée aux enfants, et une animation plus classique, orientée vers un public plus adulte.

Bien que, en même temps, un film comme Wall-e s’adresse aussi aux adultes.
Oui, c’est vrai. (Sourire) Vous l’avez trouvé très anti-américain ?

Bah… Quand même !
Moi aussi. Pixar fait des films excellents. Mais j’avais préféré Ratatouille ou Les indestructibles.

Mais y a t-il encore vraiment une place pour l’animation classique ? Parce que, à part vous et Hayao Miyazaki, les grands noms semblent disparaître. Même Disney est maintenant dirigé par John Lasseter, qui est l’un des créateurs de Pixar…
Oui, bien sûr que l’animation classique a encore de l’avenir. Même John Lasseter veut lui redonner une place prépondérante, notamment avec le prochain Disney, The princess and the frog. Il croit en tous les types d’animation. Il est très fort.
Les Japonais, avec Miyazaki en tête, adorent aussi les dessins animés. Pareil pour l’Europe, où il n’y a pas que de l’animation de synthèse. Des gens comme Nick Park (les Wallace et Gromit) font des choses incroyables. C’est aussi l’un de mes héros.
Même si les films de Pixar ou Dreamworks restent le modèle dominant, l’animation classique a encore une grande place à tenir. Le public se moque de cette différence, à partir du moment que c’est bien fait, qu’on leur donne une bonne histoire et des personnages consistants.

Vous pensez avoir des disciples ?
Peut-être… Dans le sens où il y a de plus en plus de jeunes qui réalisent leurs propres films, chez eux ou dans des petits studios, et qui se disent que si pour moi, ça a marché, eux aussi peuvent réussir. J’ai prouvé qu’il n’y avait pas besoin d’appartenir à un grand studio pour y arriver. C’est génial !

Des petites questions… Parmi vos films, lequel est votre préféré ?
Euh… L'Impitoyable lune de miel ! est spécial. C’est la première fois que je tombais dans l’extrême. J’ai été assez influencé par les films de Peter Jackson, comme Bad taste. Ce sont les films les plus drôles que j’ai jamais vus ! Mais j’aime beaucoup Hair High aussi ! L’histoire, l’animation, la fin… Mais Des Idiots et des anges est peut-être mon préféré. Il était vraiment amusant à faire, et rien que pour moi !

Film préféré ?

Un seul, ça risque d’être dur… La vie est belle de Frank Capra, Pulp fiction de Quentin Tarantino, Spinal Tap de Rob Reiner, Les Producteurs de Mel Brooks, Yellow Submarine de George Dunning. Les Miyazaki aussi… Et les Pixar, comme Les indestructibles et Ratatouille.
Et puis Brazil de Terry Gilliam, les films de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, comme Delicatessen, ainsi que les Luc Besson, comme Le Cinquième Element ou Léon.

Acteurs favoris ?
J’aime beaucoup Johnny Depp. Et puis aussi Tom Cruise, qui, quoiqu’il puisse faire à côté, reste un excellent acteur. En actrice, j’aime beaucoup Scarlett Johansson. Et toutes ces grandes actrices des années 50 : Kim Novak, Dorothy Malone, Marilyn Monroe… Pour moi, ce sont les femmes parfaites !

Vous aimeriez tourner de nouveau un vrai film ?
Probablement pas. Juste une petite anecdote. Lors du premier jour de tournage de J. Lyle. C’était à New York, il faisait beau, on avait installé tout le matériel… Et là, il y a un travesti, complètement nu, juste avec des talons aiguilles, qui arrive en criant « Vous êtes sur mon trottoir, dégagez ! » Et il a attrapé une paire de ciseaux, en essayant de me frapper. Je me suis défendu avec un micro ! Les gens se demandaient ce qu’il se passait ! Finalement, il m’a atteint au coude. J’ai fini à l’hôpital, et lui en prison ! Et là je me suis rendu compte que ce genre de choses n’arrive pas lorsqu’on fait des dessins animés. (Rires)

Un prochain projet ?
Oui, très semblable à Des idiots et des anges. Il y aura un ange, ça parlera de jalousie. Deux amants, qui s’aiment, parfaits l’un pour l’autre, mais qui se trompent mutuellement. Et la situation va se dégrader. Mais c’est une comédie, extrême, de nouveau. E.D. Distribution est de nouveau de la partie. Je pense que ça sera prêt dans deux ans !

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Propos recueillis par Anne-Louise Echevin (Janvier 2009 – Paris)