J'ai pris un verre avec François Cluzet

J'ai pris un verre avec François Cluzet

À l’occasion de la sortie du film de Philippe Godeau, Le Dernier pour la route, François Cluzet nous parle de son rôle et de sa passion pour son métier. Le film est adapté de l’autobiographie d’Hervé Chabalier, grand reporter, qui raconte comment il a réussi à se défaire de la dépendance à l’alcool.

C’est un rôle très dur que vous interprétez dans Le dernier pour la route et vous y êtes très juste… Quelque chose vous a particulièrement inspiré ?
Il y a plusieurs choses que j’ai senties : j’ai senti l’importance du script, de l’auteur. J’ai senti aussi qu’il faudrait qu’on soit tous ensemble : bien sûr il y a un rôle principal, un second rôle etc… Mais là, le film méritait qu’on soit tous à égalité. Pas de numéro d’acteur, pas de virtuosité, que du ressenti, du vrai, du bon ! Ça demande beaucoup de générosité de la part des partenaires et ceux-là m’ont trop donné pour que je ne puisse partager avec eux ce compliment.

Plusieurs acteurs avaient été annoncés avant vous. Comment vous vous êtes-vous retrouvé sur ce tournage ?
Oui c’est vrai, je me souviens, Philippe Godeau me l’avait raconté ! En fait il m’avait donné le livre de Chabalier. Et quand j’ai vu le titre, Le dernier pour la route, je me suis dit « oh non ça ne me va pas, ça doit être une descente aux enfers, l’itinéraire glauque d’un mec qui picole, non c’est pas pour moi », et je l’ai mis de côté.

Vous connaissez bien les descentes aux enfers pourtant… (ndlr : François Cluzet a tenu le rôle principal dans L'enfer de Claude Chabrol)
Oui je connais bien mais justement, je n’ai absolument pas envie de faire un film là-dessus parce que je ne crois pas au côté divertissant de la descente aux enfers. Je trouve plutôt ça pénible, pathétique, atroce, triste… Et anti-filmique ! Donc je n’ai pas lu le bouquin, et Godeau a abordé d’autres acteurs, et puis le scénario m’est revenu par son agent. Il m’a demandé si je l’avais lu et je lui ai avoué que non. Il m’a dit : « C’est vraiment dommage parce que ce scénario est magnifique. » Alors je me suis dit que j’avais peut-être fait une bêtise. J’ai su que Philippe Godeau voulait encore que je le fasse et quand j’ai lu le scénario ça a été direct, j’ai su que ne pouvais pas passer à côté de ce film. Il est même possible qu’on puisse se marrer dans un truc comme ça ! On doit pouvoir être léger, on doit pouvoir faire passer « digestement » le drame. J’ai aussi beaucoup pensé à L'enfer de Chabrol parce que c’était vraiment un sujet énorme, et Chabrol avait réussi à en faire quelque chose de digeste, de divertissant. Donc je me suis dit que c’était faisable.

C’est aussi le premier film d’un producteur. C’est ce qui vous a attiré ?
Et bien je dirais surtout que c’est le premier film d’un bon producteur ! Savoir qu’il allait passer à la mise en scène tout en étant le cinéaste qu’il est c’était attirant, en effet. Il a produit et distribué tous ces films d’un cinéma très fin, très subtil, très recherché et très intéressant. Il a fait des succès publics avec des films qui n’étaient pas gagnés d’avance ! (ndlr : Philippe Godeau a produit, entre autres, Le Huitième Jour, Les Soeurs Fâchées et récemment Largo Winch) Toutefois ce n’est pas le producteur à qui j’ai eu affaire, mais plutôt le metteur en scène : j’avais pas mal de questions à lui poser, savoir comment il allait s’y prendre, comment il comptait réussir quelque chose de sobre avec ce sujet-là. Et tout ce qu’il me répondait allait dans ce sens ! Ça me fait penser à Pialat, un grand producteur d’ailleurs, qui avait lancé sur un tournage : « on va la refaire, mais sans jouer hein ! » Et voilà ce que m’a dit Philippe Godeau : « Je ne veux pas qu’on joue. Je veux qu’on échange, je veux que vous soyez vrai. » Il m’a tout de suite collé dans le film, dans des responsabilités. Et moi je suis quelqu’un qui adore collaborer : je n’aime pas trop le côté « on va chercher monsieur, il est dans sa loge en train de prendre son thé » ça, ça me gonfle ! J’aime être là, sur le plateau, vivre le truc en permanence. Je me sens assez manuel dans le cinéma. Donc voilà, j’ai senti que c’était ce « vrai » sa motivation principale et quand j’ai vu mes partenaires, j’en connaissais certains, je me suis dit « oui avec eux c’est jouable ! »

Ce que vous dites se ressent vraiment dans le film, c’est comme si vous ne jouiez pas. Il n’y pas d’étalage de pathos et même les scènes très dures, où vous êtes ivre, où vous pleurez, sont très justes. C’est éprouvant ce genre de scène ?
Et bien je suis content que vous disiez cela parce que c’était à ça que nous voulions arriver. Pour ce genre de scène, comment dire… Quand vous lisez le scénario, vous les voyez les scènes plus dures que les autres, mais à vrai dire, pour un bon skieur, la piste bleue est plus dure que la verte, mais le bon skieur préfère la bleue parce qu’elle propose plus de sensations. C’est pareil pour nous, les acteurs, les scènes un peu difficiles on aime plutôt ça ! On vient pour jouer et s’il n’y a rien à jouer, pas besoin d’un acteur ! Donc les scènes délicates, complexes et qui nécessitent beaucoup d’émotion en général, on les travaille avant pour bien les imprimer.

Hervé Chabalier existe réellement… En quoi est-ce différent de camper un personnage réel ?
Dès lors que vous tombez sur un scénario extrait d’un bouquin, et ici adapté d’une histoire vraie, ça apporte beaucoup de lire le bouquin. En plus ce livre-là est vraiment plein de force, d’authenticité, d’honnêteté et de générosité. Tous les auteurs ne peuvent pas en dire autant. Connaître en plus le bonhomme, c’est formidable parce qu’il est bienveillant et qu’il est heureux. Même s’il est très préoccupé, c’est un reporter de guerre, il a de quoi être préoccupé en ce moment… Mais malgré toute l’affection que je peux avoir pour lui, quand je découvre et que je travaille mon rôle, ce n’est pas Hervé Chabalier que je vois : c’est le film, c’est moi. Moi, mais en tant que personne indéfinie. J’aime cette idée qu’un acteur n’a pas de personnalité. Il met son corps au service d’un film, d’un personnage. J’aime l’idée de jouer avec ce qu’on ressent et pas avec l’intellect.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?
Le plus difficile, c’est toujours d’arriver à convaincre ses partenaires qu’on va servir le sujet et non pas soi-même. On passe une sorte de pacte avec le metteur en scène, on sera tous sobres et pas un seul d’entre nous ne fera de numéro d’acteur. Ici on est face à des gens qui sont là pour se parler, parce qu’ils sont malades. Ils sont là pour arrêter l’alcool donc ils sont incroyablement vulnérables. Et je pense que dans la vulnérabilité on n’accepte pas le mauvais théâtre, ni les gens qui jouent la comédie et font de la séduction.

Sur le tournage, comment faisiez-vous pour décompresser, sortir de ces personnages en détresse ?
Oh ça allait tout seul, personnellement je suis d’une humeur assez gaie donc généralement, juste après le « coupez » je me mets à déconner !

Lionnel Astier, qui a toujours le mot pour rire lorsqu’il joue son rôle de beau-père du Roi Arthur dans Kaamelott, a dû vous faire pas mal de blagues, non ?
Lionnel Astier je l’adore, c’est vraiment un super grand acteur. J’ai hâte que ce mec-là fasse beaucoup de choses. C’est un grand acteur d’une vérité surprenante, et je me suis énormément marré avec lui ! C’est même avec lui que je me suis le plus marré… Dans la scène avec le médecin, on était comme en classe et on a fait les clowns au point que l’assistante s’est barrée en disant « je ne peux plus les tenir ! »

Vous entretenez une relation très particulière avec le personnage de Mélanie Thierry…
Oui, ces deux personnes échangent un désir dans un état de vulnérabilité. Un désir comme celui-là quand on n’a pas tous ses moyens, c’est très intéressant. Et je crois qu’avec Mélanie, on a vécu ce désir aussi, mais en tant que comédiens. On se désirait en tant que partenaires, en tant qu’interprètes.

Et maintenant, vous repartez bientôt en tournage ?
Oui, je m’en vais sur le tournage de Guillaume Canet, le fameux Guillaume Canet ! Ça s’appelle Les Petits Mouchoirs, on va tourner en septembre et en octobre au Cap-Ferret, c’est super ! Je suis super content…

Propos recueillis par Caroline Mrowicki (Paris, Juin 2009)