J'ai rencontré un drôle d'Ange : Sarah Polley...

A seulement 28 ans, le parcours de cette jeune canadienne a de quoi faire pâlir n’importe quelle nymphette d’Hollywood. Actrice rare, Sarah Polley passe à la réalisation avec Loin d'elle. Un nouveau terrain où la voir briller ? Il y a de fortes chances. La « profession » ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisqu’à l’occasion du dernier Festival de Sundance, la réalisatrice en herbe à été sélectionnée parmi les « 10 réalisateurs à suivre » par le magazine Variety, aux côtés d’Andrea Arnold (Red Road) ou encore Florian Henckel von Donnersmarck (La Vie des Autres). Pour info, parmi les anciens réalisateurs distingués, on compte entre autres Alfonso Cuaron et Alejandro González Inárritu.

Rendez-vous est donc pris à l’Hôtel Costes à Paris, pour mieux comprendre ce petit bout de femme. En ce premier matin de printemps, Sarah Polley est tout simplement la douceur incarnée. Douce, certes, mais étonnamment mature et lucide. Sa blondeur enfantine et son teint diaphane tranchent étrangement avec le calme de ses yeux et sa voix posée, au point qu’on se surprend à chuchoter. Ça tombe bien, la demoiselle aime parler de son métier…

Après une série de courts-métrages et une carrière d’actrice plus qu’honorable, pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans l’aventure du long-métrage ?
Hum… Je suis tombée sur ce livre et c’était tout simplement la plus belle histoire d’amour que j’aie jamais lue. Je trouvais ça intéressant d’observer un couple après tant d’années de mariage. Qu’est ce que le mot « amour » pouvait signifier après tant de temps ?

Pourquoi passer au long avec une adaptation ? Etait-ce plus facile ?
Je ne sais pas, peut-être… Le problème quand vous travaillez sur une idée originale, c’est que vous avez tellement le nez dedans que vous finissez par vous ennuyer ou, en tous cas, ne plus vous amuser. Mais là, travailler sur une histoire que j’adorais, une histoire qui m’avait tant touchée, c’était réellement un processus réjouissant.

Pourquoi avoir choisi un sujet aussi délicat et risqué que la maladie d’Alzheimer ?
Je crois que je suis tout simplement obsédée par le concept de mémoire et son importance dans les relations humaines, en particulier dans les relations amoureuses. Tous ces non-dits, toutes ces douleurs tues, parfois pendant des dizaines d’années, mais qui influent sur nos comportements souvent de manière involontaire.

Ce qui est le cas dans le film…
Oui, absolument. Et c’est une sorte de fêlure entre eux.

Vous liez intimement l’Amour et la Mémoire. Cela signifie-t-il que, de même que la mémoire de Fiona est vouée à disparaître, leur amour est destiné à mourir ?
Je ne sais pas. Fiona le reconnaît lorsqu’il est dans la pièce, mais cinq minutes plus tard, elle a oublié sa simple existence. Ce qui est l’aspect incroyablement tragique de ce type de maladie : oublier même ce qui représentait la chose la plus importante à vos yeux. J’aimerais me dire que ça s’arrangera, mais à mon sens, nous savons tous ce qui va arriver… et ce n’est pas un happy end.

Ils ne finiront pas ensemble ?
Je ne pense pas.

Vous pensez qu’on peut oublier la personne qu’on aime ?
Oui. Et je crois même que ça arrive tout le temps. Notamment dans des cas comme celui de Fiona et Grant. Je crois qu’il arrive un moment où on s’est tellement éloigné, qu’on ne peut plus se retrouver.

Vous ne croyez donc pas à l’idée d’âme sœur…
Non.

Pessimiste… ?
Je ne crois pas. C’est juste que l’on rencontre tant de personnes au cours de sa vie. Et je trouve ça étrange de se dire qu’il n’y en a qu’une qui nous soit « attribuée ». Je ne crois pas à cette idée de Destin.

Comment Julie Christie est-elle arrivée sur le projet ?
Après avoir lu et relu la nouvelle, j’ai tout simplement écrit le personnage de Fiona pour Julie.

Elle est très belle dans le film, d’une façon si naturelle que ç’en est étrange. Pourquoi et comment filme-t-on un couple de sexagénaires en crise ? Ce n’est pas ce qu’il y a de plus sexy de prime abord...
J’ai beaucoup aimé m’y atteler. J’aimais vraiment cette idée d’un couple vieux de plusieurs décennies, un couple qui, théoriquement, n’a plus rien à se prouver.

Pourtant, dans le film, ils se comportent comme le plus moderne des jeunes couples : ils se parlent, font l’amour, se désirent, …
Oui, je trouve toujours incroyable de voir que les rares fois où un couple « âgé » est porté à l’écran, il est sage, lisse, doux… Alors que la réalité est souvent bien différente ! Pour beaucoup, il demeure une alchimie très forte, un désir… « vivant ».
Je voulais montrer çela.

Allez-vous réaliser un autre film ?
J’aimerais oui. J’ai commencé à écrire quelque chose, mais ça reste une ébauche.

Quels sont vos projets ?
Je vais retourner à la comédie et, parallèlement, écrire.

Propos recueillis par Eléonore Guerra (Paris, Mars 2007)