On a passé un coup de fil au réal de Norway of Life...

Le film était passé inaperçu aux yeux du grand public, pourtant, les jurys de Cannes 2006 et Gerardmer 2007 ne s’y étaient pas trompés…

Près d’un an plus tard (quelques jours avant la sortie du film en DVD), nous voici pendus au téléphone, en ligne directe avec la Norvège, pour un entretien décontracté avec Jens Lien, heureux réalisateur de Norway of Life.

Pourquoi avoir fait un film aussi mystérieux ?
Et bien, tout d’abord, le film est tiré d’une pièce radiophonique dont j’aimais beaucoup la trame. En fait, l’auteur de la pièce est un de mes amis. Lui et moi formons une sorte d’équipe, il est d’ailleurs scénariste du film. Nous avions déjà travaillé ensemble sur des courts-métrages. Alors, lorsqu’il est venu me voir avec le scénario de sa pièce, je me suis tout de suite dit que ça ferait un bon film. L’attrait, pour moi, était également le challenge de rendre visuel ce qui, à la base, ne constituait qu’un long discours. Nous avons d’ailleurs dû retourner le matériau original afin d’y parvenir.

Il est d’ailleurs étonnant de découvrir un film aussi visuellement expressif, mais incroyablement silencieux…
Encore une fois, c’était un vrai défi. Mon point de départ était une pièce radiophonique. Ma vision de l’histoire était donc forcément subjective puisque c’était le pur fruit de mon imagination répondant aux mots. Pour revenir à votre première question, j’ai choisi de faire ce film car j’aimais la façon dont le scénario abordait l’absurdité du monde moderne et l’isolement, la solitude qu’il engendre.

Vous avez un problème avec notre société de consommation ?
Bien sûr ! Comme beaucoup, je pense que nous vivons dans une société qui, malgré ses bons côtés, est incroyablement stressante et superficielle.

Serait-ce votre vision de l’Enfer ? Cette ville froide peuplé de gens parfaits, mais inexpressifs ?
Partiellement, oui, même si ce serait plutôt celle du scénariste. Vous savez, je vis dans un pays riche du nord de l’Europe, dans lequel il est aisé - poussé par l’oisiveté - de se passionner pour des choses purement superficielles comme la décoration d’intérieur. Ici en Norvège, ces hobbies ont pris des proportions « étranges ».

Est-ce pour cette raison que vous avez à ce point stylisé la ville dans le film ? Des rues propres, vides, sans voitures ni arbres…
C’était un élément absent de la pièce radiophonique. Ce point de vue radical est arrivé lors de la préparation de Norway of life : comment représenter un monde vivant au sein duquel la vie est sans importance, voire absente. Nous avons donc supprimé arbres, enfants et tout ce qui pouvait faire « désordre » dans cet univers où tout est sous contrôle.

A vous écouter, on a l’impression que vous avez avant tout voulu déstabiliser le spectateur. Est-ce la raison de l’étonnante absence de musique pendant toute la première partie du film ?
En tant que musicien moi-même, je suis toujours très attentif à la musique dans les films que je fais. Je m’y intéresse d’ailleurs souvent en pré-production, avant même d’entamer le tournage. Ici, je voulais à tout prix une bande-son qui provoque des émotions – tranchant ainsi avec l’univers visuel du film. C’est également pour cette raison que j’y ai intégré des morceaux à la tonalité mélancolique et un peu vieillotte. Je ne voulais pas un score dit « effrayant », mais, au contraire, explorer le décalage entre image et son. C’est d’ailleurs flagrant dans la scène du suicide dans le métro. Je tenais vraiment à jouer sur le contraste entre image d’horreur, situations d’effroi psychologique et musique mélancolique un peu clichée.

Justement, pourquoi cette scène est-elle si radicalement différente du reste du film ?
Je voulais montrer ponctuellement - afin d’en souligner l’importance – toute l’horreur de cette ville. Pendant la première partie du film, Andreas progresse dans un univers calme, diffus, silencieux ; une sorte de bulle hors du temps. Pourtant, il ne le supporte pas. Il fallait donc montrer tout le côté inhumain de cette ville. De même qu’il fallait exprimer le torrent d’émotions du personnage, seul individu a ressentir des émotions. Je ne voulais pas qu’il se mette tout simplement à hurler « C’est quoi votre problème ?! » à ses collègues de bureau. Je désirais marquer le coup et montrer – dans le vrai sens du terme – des sentiments et des réactions.

Comment pourrait finir l’histoire ? Que pourrait-il arriver à Andreas ?
C’est une fin (très) ouverte. Il est expédié dans un mystérieux endroit, encore plus froid. Je crois qu’il est tout simplement impossible de finir cette histoire. Cela ne nous intéressait d’ailleurs pas. Nous voulions surtout peindre notre vision de l’Enfer. Décider d’une fin « claire » dénaturerait le film et le rendrait tout bonnement inintéressant. Nous en avons étudié plusieurs, et, bien entendu, les producteurs nous mettaient la pression pour que nous en validions une. Ce que nous nous sommes finalement refusés à faire.

Ce qui offre à Norway of Life une belle liberté !
Bien sûr ! Vous savez, c’est d’ailleurs pour cette raison que j’adore les films de Spike Jonze. Faire une fin à Norway… aurait été à l’encontre du concept de départ.

Quel pourrait être le message du film, s’il y en a un ?
Il y en a plusieurs, mais s’il ne devait y en avoir qu’un… Bon, ce n’est peut-être pas original mais disons que c’est une mise en garde sur les dérives de notre société de consommation ainsi qu’une réflexion sur la solitude grandissante qu’elles engendrent.

Que pensez-vous du titre français, radicalement différent du titre original et beaucoup moins puissant ?
Ca m’a fait sourire, cette vision que vous les français avez de nous norvégiens. Ça a un petit côté Borat . Disons que… C’est comme si vous aviez voulu « régionaliser » une situation qui devient de plus en plus universelle…

Propos recueillis par téléphone par Eléonore Guerra (Paris, Septembre 2007)