Passez une audition avec Luc Picard !

C’est dans la suite d’un grand hôtel parisien que Luc Picard nous reçoit, visiblement encore étonné par le succès de son film au Québec, ses multiples récompenses et un accueil plus que chaleureux des critiques françaises. Décontracté, ouvert, on ne peut s’empêcher de penser au personnage de Louis qu’il interprète dans son film, L'audition, tant les points communs entre le réalisateur et son double fictif sont évidents.

On vous connaît en tant que acteur, qu’est ce qui vous a donné envie de passer de l’autre côté de la caméra ?
J’avais envie de passer à la réalisation depuis un moment mais sans vraiment prendre cette envie au sérieux. L’idée s’est précisée avec l’écriture. J’ai écrit le scénario de L'audition très rapidement, en un été, puis je l’ai fait lire à mes amis et à ma productrice, Lorraine Richard, qui m’a dit tout de suite "Ok, on fait le film". En écrivant, j’ai d’abord pensé qu’il ne pouvait y avoir que moi pour interpréter Louis, il était proche de moi. Puis au fur et a mesure, je me suis rendu compte qu’il ne pouvait y avoir que moi pour réaliser ce film, il était trop personnel.

C’était un défi pour vous de vous mettre en scène, d’assumer tant de responsabilités à la fois, de l’écriture jusqu’à la présentation du film ?
Oui, complètement. C’était très gratifiant, j’avais l’impression qu’écrire, jouer, et mettre en scène était une réalisation totale et personnelle de soi, un aboutissement. Ce film est presque devenu mon "bébé".

Qu’est-ce que cela change, en tant qu’acteur, d’avoir son propre regard sur son jeu ? Ce n'est pas un peu schizophrénique ?
C’est vrai que c’est un peu étrange, mais j’avais deux avantages. Premièrement, j’ai écrit le texte et ensuite, le personnage de Louis est très proche de moi, ce qui m’a permis de ne pas devoir trop chercher pour trouver le personnage. Ensuite sur le plateau, après chaque scène, j’allais regarder ce qui avait été tourné, en demandant l’avis de mon équipe. J’avais déjà en tête cette équipe avant de tourner. Je voulais, des gens à la fois talentueux, mais aussi avec lesquels je m’entends bien. Ça m’a beaucoup simplifié les choses et je me suis vraiment amusé comme un petit fou à faire ce film !

Comment avez-vous choisi les autres comédiens ?
Quand j’ai écrit le texte, j’avais déjà deux personnes en tête. D’abord Alexis Martin qui joue Marco et qui est un ami de longue date. Le rôle était sur mesure pour lui. Et Denis Bernard qui joue le coach. Je l’avais déjà croisé une ou deux fois, et j’ai beaucoup de respect pour son travail. Le choix des autres acteurs est venu juste avant de tourner. Il n’y a que pour Suzanne Clément pour le rôle de Suzie et pour Julie Mcclemens, qui joue la jeune fille, que j’ai fait passer des auditions, même si je n’aime pas trop ça, ce n’est pas jamais agréable pour un comédien.

Les conseils donnés dans le film pour interpréter un rôle sont-ils ceux que vous appliquez à vous-même ?
Oui c’est ma philosophie de jeu. Je pense que jouer doit être un acte naturel, comme quand on est enfant. Et surtout, le plus important, c’est de croire en tant acteur à ce qui se passe, pas simplement de faire croire au spectateur. C’est pour ça que Philippe, le coach dans le film, n’apprend pas à Louis la rythmique du texte ou les déplacements. Il lui apprend à voir les scènes qu’il joue, comme si elles se déroulaient réellement.

L’implication personnelle, voire autobiographique est-elle plus présente à l’écriture, dans votre jeu, ou dans votre manière de filmer ?
Dans l’écriture. C’est un moyen d’expression très impudique. Quand on joue ou que l’on réalise, je pense qu’il y a certaine distance qui s’installe par rapport à l’histoire que l’on raconte. Quand on écrit, on est seul face à soi, on y met sa vie. D’ailleurs j’ai mis dans L'audition beaucoup de détails de ma vie quotidienne, de vécu, comme pour la séquence du bar ou du parc. Au niveau des personnages, c’est la même chose. Même si Louis est très proche de moi, il y a aussi un peu de moi en Philippe et Marco.

Justement les scènes du film Le Parrain que vous interprétez dans le film sonnent très vraies. Est-ce quelque chose que vous amusiez à faire plus jeune ?
Oui, c’est même comme ça que j’ai appris à être acteur. Je viens d’un milieu ordinaire, ouvrier, il n’y a pas du tout d’artistes dans ma famille. Mes premiers pas en tant que comédien étaient de reprendre des scènes de films, et de les jouer encore et encore devant le miroir.

L'audition peut vraiment être vu comme un "instantané de vie", on passe du rire aux larmes, de la légèreté aux drames très rapidement et naturellement. Quelle est votre recette pour transmettre avec justesse émotions au spectateur ?
C’est venu assez naturellement, simplement en observant la vie avec un peu de recul. Je me suis rendu compte que lorsqu’on prévoit quelque chose, qu’on fait des plans, les éléments extérieurs viennent très souvent tout chambouler. J’ai essayé d’appliquer cette vision à l’écriture. Quand je sentais que les choses devenaient trop évidentes, que je savais exactement où j’allais, alors j’essayais de me demander comment la vie extérieure interviendrait à ce moment pour faire déraper les choses. C’est d’ailleurs souvent ce qui provoque le burlesque et le côté dramatique de la vie…

Même si ce n’est pas le sujet de votre film, on y ressent pourtant l’influence du poids des classes sociales. Notamment les familles aisées que l’on ne voit pas, mais qui paient pour que Louis soit le vecteur de leur violence. Est-ce l’injustice sociale est un sujet qui vous interpelle ?
Oui bien sûr, surtout la question de la difficulté à sortir de sa classe sociale, à s’ouvrir. Je ne voulais pas non plus être explicite, insister là-dessus dans le film, mais on sent que le personnage de Louis vient d’un milieu dur. C’est aussi cela qui l’a formé en tant que personne, qui a fait qu’il exerce ce métier. Ce que je voulais montrer c’est la manière dont, malgré cette fatalité, il essaye de reprendre les droits sur sa personne et sur ses rêves.

En France, le cinéma québécois n’est pas tellement mis en avant, hormis certains comme CRAZY de Jean-Marc Vallée ou les films de Denys Arcand. On y retrouve cette envie de se concentrer sur l’émotion, par le jeu des acteurs surtout. Pensez-vous que le cinéma québécois ait une spécificité ?
Probablement. Je pense que le cinéma québécois a les qualités de ses défauts. On est un petit marché, avec une économie assez pauvre. De plus, notre tradition du cinéma est assez récente, elle a vraiment commencé dans les années 60/70. On a peut-être une maîtrise moins importante, mais on n’a pas le poids de nos aînés, du passé, comme la Nouvelle vague en France. Ça nous permet sûrement une plus grande liberté émotive.

Vous vous sentez proche des cinéastes québécois?
Oui d’une certaine manière. La famille du cinéma québécois est très petite, on se connaît tous. En tout cas, quand je vois un film, il m’interpelle toujours, m’influence toujours. Après je ne sais pas si on peut nous regrouper sous une même bannière, je pense que ça doit être plus visible de l’extérieur, à l’étranger, que pour nous.

Quelles sont vos influences en tant que réalisateur ?
Je pense que les films les plus marquants sont ceux que l’on voit quand on est jeune. J’ai commencé à m’intéresser au cinéma quand j’avais 10 ans environ, au début des années 70, avant que les blockbusters envahissent les écrans. Je trouve qu’avec les réalisateurs américains comme Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, et l’émergence d’acteurs comme Robert De Niro ou Al Pacino, on a vraiment eu une grande période de cinéma. Ces films étaient très réalistes, énormément basés sur le jeu d’acteur, violents aussi… Des films durs et touchants.

Est-ce que vous travaillez déjà sur un nouveau projet ?
Oui j’ai tourné un film cet automne, mais que je n’ai pas écrit. Ce sera un conte, magique et poétique, inspiré des histoires du conteur Fred Pellerin. Le film racontera l’histoire d’un fou qui est la mémoire des vieilles légendes d’un village. Ce sera un univers complètement différent de L'audition, avec beaucoup d’effets spéciaux.

Qu’est ce que vous diriez à nos internautes en quelques mots pour leur donner envie de voir votre film ?
Je pense que L'audition est avant tout un voyage… Un voyage des sens, un voyage émotif. Vous allez sûrement rire, pleurer, et j’espère que le film vous donnera envie de bouger, de faire des choses que vous n’avez jamais osez faire, par manque de temps ou de courage.

Propos recueillis par Marianne Fakinos (Paris, Janvier 2008)