Rdv avec un cinéaste du monde

Dans un petit hôtel à Odéon (Paris), nous avons eu le plaisir de rencontrer Eran Riklis. Après le succès de La fiancée Syrienne, il nous révèle ses impressions sur son dernier film, Les Citronniers. Très à l’aise et de bonne humeur, il nous parle de ses motivations et nous explique la raison pour laquelle il n’est pas seulement un cinéaste israélien mais un « cinéaste du monde »…

Dites-nous ce que ce film représente pour vous… Pourquoi raconter l'histoire d'une veuve palestinienne à la ligne verte ?
J'ai été inspiré par une histoire réelle que j'ai trouvée dans des journaux. J’ai ensuite commencé à créer une histoire fictive, qui comportait tous les éléments : la femme palestinienne, le Ministre de la Défense, la terre, les arbres… En fait c'est une histoire très simple qui nous permet de comprendre un peu plus ce qui se passe au Moyen-Orient notamment le conflit entre les Israéliens et les Palestiniens.

Selon vous, « Les arbres peuvent témoigner »… Quelle est la pertinence de ce témoignage ?
Bonne question… Je pense qu'on vit dans une époque où on reçoit beaucoup d'informations : l'internet, la télé… On voit tellement d'images, on lit tellement de mots qu’on est devenus un peu « indifférent » à tout ça. Beaucoup de choses se passent. Lorsqu’on ouvre le journal, on voit des catastrophes partout, mais on continue quand même à vivre…

Les citronniers sont la connexion entre Salma et son passé, les mémoires de son père… Pourquoi avez-vous choisi de vous centrer sur le côté personnel des personnages, et non sur le conflit israélo-palestinien ?
Simplement parce que c'est la seule manière de le faire ! On est en 2008, et parler uniquement de politique dans les films n’est pas la meilleure façon de toucher les personnes… Je pense que pour sensibiliser les gens et délivrer un message politique, on doit être plus humains…
En revanche, dans « Les Citronniers », mon but n'a pas été de transmettre un message politique... J'ai juste essayé de montrer une histoire, une situation difficile, d'un point de vue humain... Parce que si quelqu'un veut s’informer du conflit, il peut simplement chercher sur internet et trouver toutes les informations. Je montre la complexité de la situation, que tout n'est pas noir ou blanc, c'est plutôt gris, et peut être jaune !

Que diriez-vous de la relation entre Salma et Mira, la femme du ministre ?
C'est le cœur de l'histoire ! Quand j'ai commencé à travailler sur ce scénario, je me suis rendu compte qu'il s'agissait essentiellement d'un film sur la solitude de tous ces personnages, et surtout de ces deux femmes. Salma et Mira sont absolument différentes : l’une est une veuve palestinienne, une personne simple qui n'a pas beaucoup étudié ; l'autre est israélienne, sophistiquée, femme d'un politicien… Mais elles se ressemblent dans leur solitude. Il s'agit d'un film sur deux femmes « piégées » physiquement et émotionnellement, deux femmes qui ont besoin de changer un peu leur vie…

Et comment expliqueriez-vous toute cette « solitude » des personnages ?
Il y a plusieurs raisons… En fait, ce sont les « grands mots » utilisés pour décrire les conflits au Moyen-Orient et peut-être tout conflit : tradition, religion, violence, guerre, sang, préjugés, stéréotypes …

Dans votre dernier film, La fiancée Syrienne, vous aviez également choisi de parler d'une femme dans une zone de conflit… Pourquoi toujours les femmes ?
Pourquoi les femmes ? Parce que j'aime les femmes ! (Rires...) En fait, je trouve intéressant de parler des femmes au Moyen-Orient parce qu'elles sont réprimées, chacune à leur façon… Dans le coté Palestinien, c'est peut être plus évident parce que c'est une société musulmane et les femmes doivent suivre des règles, etc ; mais du côté Israélien, même si les femmes ont plus de liberté et habitent dans une société moderne, elles sont également « prisonnières »…
On peut voir dans « Les Citronniers » que les personnages féminins sont soumis, bloqués. Ils ne créent jamais les situations, mais en sont toujours les victimes. Je pense que c'est beaucoup plus dramatique et intéressant de mettre les victimes au centre de l'histoire. Et quand je dis « victimes », je ne parle pas seulement de Salma et Mira… Il y a aussi la secrétaire du ministre, on ne sait jamais si elle et le ministre ont une histoire. Elle est également une victime du fait de sa position sociale…

Pourquoi avoir choisi Suha Arraf et Hiam Abbas dans vos deux derniers films ?
Suha Arraf car nous nous entendons très bien. On a beaucoup travaillé ensemble et elle apporte au scénario le point de vue d'une femme arabe.
Dans le cas de Hiam Abbas, c'est parce qu’après La fiancée syrienne, j'étais sûr de vouloir faire un film dans lequel je pourrai la mettre au centre. Dès qu'on a travaillé ensemble, je me suis senti très proche d'elle, on a eu un bon feeling et j'ai aimé le résultat.

Que pensez-vous du cinéma israélien aujourd'hui ?
Il y a trois ans, j'avais dit qui si nous - cinéastes israéliens - nous nous en donnions les moyens, nous pourrions être la prochaine « révélation » du cinéma : comme les cinémas iranien, chinois, etc l’ont été à une période… Je pense qu'on vient d'un pays où il y a beaucoup d'histoires à raconter… En plus, les Israéliens sont ambitieux, et quand on est ambitieux et qu’on a des choses à raconter : ça ne peut être qu’intéressant !
Par contre, en Israël, rien n’est prévisible, même si l’on ne parle pas de politique et du conflit, il y a beaucoup à explorer. Les questions sociales sont très intenses : c'est une société composée par des personnes de différentes origines, donc très hétéroclite, voire chaotique, et tout ça est en concordance avec le cinéma. Je pense que c'est la raison pour laquelle il y a de plus en plus de films israéliens aujourd'hui.

Vous êtes né à Jérusalem et avez été élevé aux Etats-Unis, puis au Canada et au Brésil. Comment ressentez-vous l’influence de ces expériences ?
En fait, je pense que ça m'a appris à avoir une vision plus universelle des choses. Je suis Israélien, donc je suis un conteur local. Or je pense que le plus local on est, le plus universel on peut devenir ! Si je fais un film sur des Palestiniens et des Israéliens, ça ne veut pas dire qu'une personne à Rio, New York ou Tokyo ne peut le comprendre. L'essence de l'histoire aurait pu se passer au Brésil, aux Etats-Unis ou au Japon, car les éléments « humains » sont très similaires.
En ayant grandi dans différents pays, j'ai beaucoup appris sur la liberté : la liberté d'expression, la liberté de pensée, la liberté politique. Quand j'avais 15 ans, j'ai lu un livre qui était un best-seller aux Etats-Unis, et qui a ensuite été adapté au cinéma : « Vol Au Dessus D'Un Nid De Coucou ». C'est l'histoire d'un individu dans un hôpital psychiatrique qui s'insurge contre les règles établies. Il lutte contre le système. Ce livre m'a beaucoup influencé et quelques années plus tard, la bataille entre individus et système continue de m'attirer. Donc, j’essaie de toujours insérer cela dans mes scénarii.

Quels sont vos projets ? Pensez-vous faire des films en dehors du Moyen-Orient ?
Je travaille sur 3 films pour l'année prochaine. Un de ces films se passe à Bolivia, il n’a rien à voir avec le Moyen-Orient. Le deuxième est l’histoire d'un Israélien en Allemagne et le dernier est centré sur un Israélien qui va en Russie chercher le corps d'une femme qu'il doit ramener.
Je sais qu'il y a encore beaucoup à raconter sur le conflit israélo-palestinien, mais là j'ai besoin de prendre un peu de distance sur ce thème…

Quelle est votre fonction comme « réalisateur du monde » ?
Je pense que ma fonction est d’ouvrir les yeux au spectateur, son esprit, et peut-être même son cœur. Je n'essaye pas de changer les personnes, je n'ai quand même pas la prétention de les éduquer ! Je pense que mon boulot est de montrer la condition humaine de manière à ce que ça ne soit pas trop menaçant aux yeux du public. Je n’ai pas le souhait de forcer la pensée des personnes dans une direction.

Que diriez-vous pour résumer le film ?
C'est un film triste, comique, tragique et surtout honnête. Et on doit être honnête quand on réalise des films, sinon personne ne croira en nos histoires.

M.F. (22 Avril 2008)