Soyez happy avec Mike Leigh !

Nous avons interviewé le grand réalisateur britannique Mike Leigh à l’occasion de la sortie de son prochain film, le très sucré Be Happy.

Réputé pour son franc-parler et sa rudesse envers les journalistes, c’est un Mike Leigh sympathique et rassurant que nous avons rencontré dans un charmant hôtel de Saint-Germain-des-Prés...

Découvrez également en images, les réactions du réalisateur et de ses deux acteurs, Sally Hawkins et Eddie Marsan sur le tournage... => Voir l'interview vidéo de l'équipe ! (Montage : Jessica Allard)

Comment vous est venue l’idée de ce film ?
Je voulais faire un film qui soit positif. Quand je me lance dans un projet, je ne commence pas par écrire un scénario. J’ai une sensation, puis je choisis les acteurs et petit à petit les personnages se construisent et j’explore les différentes options qui s’offrent à moi. Au fur et à mesure, l’ensemble prend vie et c’est à partir de ce moment-là que je commence le tournage. Je crée le film comme il me vient. C’est un voyage qui permet de découvrir le sujet du film.
Je suis donc parti d’un sentiment, puis je lui ai donné forme, et, au cours de l’évolution du film je me suis rendu compte que finalement, j’étais en train, d’une certaine façon, de répondre au fait qu’aujourd’hui, en ce début de XXIe siècle, nous sommes en train de faire de notre planète un véritable chaos. Nous sommes en train de l’anéantir, il n’y a plus assez de nourriture, et le fondamentalisme religieux détruit le monde. C’est une maladie très grave, et il est facile de s’asseoir là et de regarder ces événements se dérouler, en étant négatif et pessimiste. Mais pendant que ces événements se déroulaient, de nombreuses personnes, dont nous faisons partie, sur cette planète, se préoccupent du futur, et ont une attitude positive. Je pense notamment aux enseignants, aux personnes qui s’occupent des enfants, ces personnes-là se préoccupent du futur. De ce fait ils enseignent de façon active, ils manifestent un optimisme à toute épreuve et c’est cela que je voulais montrer avec ce film.

Le fondamentalisme religieux semble être justement le problème de Scott. Est-ce vraiment quelque chose que vous souhaitiez exprimer ?
Oui. Scott est victime de son passé, de la façon dont il a été conditionné, de son éducation médiocre, sans aucun doute à cause de ses parents, ou de qui que ce soit d’autre. Il nourrit des idées fondamentalistes, ce qui le rend dangereux et paranoïaque.

Que représente le personnage du clochard ?
En premier lieu, ce film est sur Poppy, sur son ouverture d’esprit et sa capacité à comprendre les gens tout de suite, sans les juger. Ce film parle également de son courage, immédiat et intuitif. Elle ne s’arrête pas pour se demander si cette situation pourrait être dangereuse. Elle y va, elle veut savoir, elle est curieuse. Elle est également généreuse.
A un autre niveau, je voulais créer un moment dans le film, où j’allais vous mettre, vous, les spectateurs, dans une situation inconfortable, car jusque là vous étiez à l’aise avec Poppy. Je voulais que vous vous inquiétiez. Au final, le clochard se révèle beaucoup moins dangereux que Scott. Et cela montre encore une fois comment Poppy réagit face à ce genre de situation.
Cette scène montre également un autre aspect important de la personnalité de Poppy : elle a le sens du partage, elle est sociable. Elle vient d’avoir ce problème avec Nick, elle a déjà eu des problèmes similaires auparavant avec d’autres enfants car elle est une professeure expérimentée. On la voit dans ce parc, elle est pensive, presque en train de méditer. Juste après, elle rencontre ce clochard, puis elle rentre chez elle. Zoe lui demande où elle était mais elle ne répond pas. Ce n’est pas une histoire qui va prendre une importance considérable, comme dans un film hollywoodien, ce n’est pas un secret qu’elle doit cacher. C’est simplement quelque chose qu’elle veut garder pour elle, quelque chose de privé, et elle ne veut pas en parler. Le film lui permet de rencontrer une personne qu’elle ne s’attendait pas à rencontrer.

Au début du film, on entend la chanson Common People de Pulp. Avez-vous choisi cette chanson par hasard, ou bien a-t-elle une signification particulière par rapport au film ?
Elle n’a absolument aucune signification. J’aime beaucoup cette chanson, ainsi que le groupe Pulp. Au départ nous avions enregistré la scène avec une chanson différente, mais nous ne pouvions pas payer les droits d’auteur car nous ne disposions que d’un petit budget. Jarvis Cocker (le leader de Pulp), que je connais bien, m’a autorisé à utilisé Common People gratuitement. La chanson collait avec la scène, les filles l’aimaient bien et je l’aimais bien aussi.

Pour quelle raison n’avez-vous obtenu qu’un petit budget pour ce film ?
Parce que personne n’a voulu m’en donner plus. Mais le budget était suffisant pour le film que nous avons fait. Les producteurs ne savent pas ce que ça va donner, ils m’ont donc dit : « ok, voilà ce que l’on va vous donner, allez-y ».

Pensez-vous que c’est un handicap ?
Si j’obtenais des budgets plus importants, je ferais des films plus importants, des films différents et vous les aimeriez tout autant. Donc je ne dirais pas que c’est une bonne ou une mauvaise chose, c’est comme ça, c’est tout.

L’histoire de Nick (l’un des élèves de Poppy) est très rapidement mise de côté ? Pourquoi ? Est-elle juste un prétexte pour permettre à Poppy de rencontrer Tim ?
Non, ce n’est pas un prétexte, ce serait faux de la considérer ainsi. Mais, aussi important que soit le personnage de Nick, le film est sur Poppy. Cette histoire est importante sur un autre plan : j’aime mes films, je veux qu’ils provoquent quelque chose chez les spectateurs. Une fois le film terminé, quand vous avez quitté le cinéma, je veux que vous y pensiez, que des idées vous viennent, que vous vous imaginiez des choses, que vous en discutiez, que cela vous préoccupe, car, en fin de compte, je veux que mes films reflètent le monde réel, la vraie vie, les vrais problèmes, etc. Donc, si l’histoire de Nick et ses problèmes vous intéressent, vous devez faire travailler votre imagination, ce n’est pas nécessairement à moi de vous en parler et d’aller au bout de cette histoire.

La plupart des acteurs du film viennent du théâtre. Pourquoi ce choix ?
En Angleterre, les bons acteurs travaillent dans tous les médias : théâtre, cinéma, télévision, radio. Les acteurs avec lesquels je travaille ont une expérience poussée et une formation dans le théâtre et dans le cinéma. Ce sont de bons comédiens, et quand je dis bons comédiens, je parle du genre que j’aime voir dans mes films : ils ne doivent pas seulement bien jouer, ils doivent également être intelligents, ce qui n’est pas le cas de tous. Ils doivent être sophistiqués et motivés par un intérêt réel pour le monde, et pas seulement par leur performance. Ils ne doivent pas être narcissiques ou être des acteurs de genre, ils doivent être capables de jouer toute sorte de personnages. Le sens de l’humour est également indispensable. Voilà comment sont les acteurs de mon film, et je tiens à dire que le fait qu’ils soient à la fois des acteurs de théâtre et de cinéma est en lien direct avec toutes ces caractéristiques. Il est très rare de rencontrer un acteur qui possède toutes ces qualités et qui n’a jamais fait de théâtre. Certains d’entre eux n’ont jamais fait de films auparavant mais ce n’est pas un problème pour moi, je les aide, je fais en sorte que ça marche.

Quelle est la part d’improvisation dans le film ?
Une part primordiale, dans tous mes films. Quand je construis le scénario, en premier lieu j’en parle avec les acteurs, et petit à petit on commence à mettre des choses en place. Ils commencent à jouer, on met en place les personnages, on explore leur passé sur de nombreuses années, ce qui implique une grande part d’improvisation, tout le temps. Nous improvisons les personnages, et une fois qu’arrive l’époque de l’action du film, on a réussi à imaginer toutes les expériences qu’a pu vivre le personnage. A ce moment-là, on structure les scènes à partir de ce qui a été improvisé. On obtient quelque chose de très précis en partant de l’improvisation.

Avez-vous des regrets par rapport au film ?
Oui. Au début du film on apprend que la petite sœur de Poppy est étudiante et que ses examens approchent, mais il semblerait qu’on ne comprenne pas clairement ce qu’elle étudie. Certaines personnes pensent qu’elle est en sociologie, alors qu’en fait elle fait de la criminologie.

Avez-vous été traumatisé par votre moniteur d’auto-école ? Ou par votre professeur de flamenco ? (les personnages les plus atypiques du film)
Non, je n’ai jamais pris de cours de flamenco, mais l’idée est amusante. Scott pense qu’il est un très bon professeur, il a des idées toutes faites en ce qui concerne l’éducation, mais il est le pire professeur qui puisse exister. Enseigner la conduite, ce n’est pas comme enseigner à des enfants, ou bien enseigner un sujet académique. Je n’ai jamais pris de leçon de conduite, mais quand j’étais enfant, dans les années 50, j’ai eu des professeurs de ce genre, dogmatiques, presque fascistes, avec une vision du monde limitée. Ils étaient persuadés d’avoir toujours raison et portaient des jugements catégoriques. En fait la conduite mène intrinsèquement à cette approche de l’enseignement.

Vous avez déclaré lors d’une interview que vous aimiez regarder vos films en présence du public. Pour quelle raison ?
Un film n’a pas d’existence réelle avant de se retrouver face au public. De la même façon, un tableau n’existe pas avant que quelqu’un ne le regarde. Assister à la projection de l’un de mes films en présence du public et sentir les réactions des spectateurs est une véritable récompense de mon travail.

Une récompense plus importante qu’une Palme d’Or ?
Non, ce n’est pas plus important. D’une certaine façon, je pourrais dire que c’est plus important qu’une Palme d’Or, mais une Palme d’Or fait partie intégrante de cela, elle est la célébration d’un travail accompli, et c’est évidemment un grand honneur.

Avez-vous d’autres projets en vue ?
Oui, je vais faire un nouveau film l’an prochain mais je ne peux pas vous dire quel en sera le sujet car je ne le sais pas encore. De la même façon que pour mes autre films, je suis parti d’un sentiment, d’une idée, et en ce moment j’essaie de réunir suffisamment d’argent pour le faire...

Propos recueillis par Stéphanie Munier (Paris, Juillet 2008)