Woody Allen à Paris... Nous l'avons rencontré !

Mardi 2 septembre, le soleil illumine les vitrines de la place Vendôme. Dans un petit salon de l’Hôtel Ritz, des journalistes et un réalisateur. Cet homme, c’est Woody Allen. Il était dernièrement à Paris pour présenter son prochain film, La vie et tout le reste, qui sort le 29 octobre dans nos salles obscures. Il annonçait aussi son passage au festival Jazz à Vienne. Le cinéaste clarinettiste et son "New Orleans Jazz Band" donneront un concert unique le 8 septembre au théâtre antique de la ville...

L’idée du film
"Mon inspiration vient par hasard. Quand je termine un film, je rentre chez moi, je réfléchis et j’ai une autre idée. Cette fois, j’ai pensé qu’il serait intéressant de raconter l’histoire d’un garçon, Jerry. Il est dans une situation terrible et reçoit les conseils d’un homme plus âgé qui se trouve être complètement fou. Certaines de ses recommandations vont pourtant lui être utile."

Sa relation avec le personnage de Dobel
"Contrairement à mon personnage, je suis plutôt pacifiste et non héroïque. Je suis radicalement contre les armes. Je pense même que les chasseurs ne devraient pas en posséder. J’ai inventé cet individu et, franchement, si j’avais été plus jeune, j’aurais joué le rôle de Jason Biggs. Mais je ne pouvais pas, alors j’ai pensé que j’étais un candidat acceptable pour cet emploi."

La découverte de Jason Biggs
"Quand j’ai commencé à travailler sur le film, je n’avais jamais entendu parler de lui. Je n’avais rien vu de Jason Biggs. Je ne connaissais même pas son nom. J’essayais de trouver un comédien, et quelqu’un m’a passé une vidéo d’une scène d’une minute qu’il avait tourné. Je l’ai simplement regardé et je me suis dit : il est parfait. Durant le tournage, je n’ai pas eu besoin de le diriger. Il est naturel et charmant. J’ai été chanceux de le trouver."

Première scène de violence dans un film de Woody Allen
"Il y avait déjà de la violence dans mes précédents films. Dans Crimes Et Délilts et MANHATTAN, il y avait des scènes de meurtre. Mais, on ne voyait pas la brutalité directement. Alors que là, on voit le protagoniste qui sort de ses gonds, à l’écran. Dobel est fou. Il a compris que le monde était sans but. Il sait à quel point la passion amoureuse peut mener à la tristesse. Il sait aussi qu’il faut toujours être extrêmement vigilant pour empêcher l’avancée du fascisme rampant. En temps de crise, c’est une personne qui rejoindrait la résistance immédiatement. Il serait un héros car il réagit tout de suite. Mais dans cette société où la menace n’est pas imminente, il devient paranoïaque."

La verbalisation et l’humour dans ses films
"Je décris des personnages qui sont névrotiques et semi-intellectuels. Une de leur caractéristique est qu’ils parlent énormément. Ils pensent que tout peut être résolu par la discussion, par la verbalisation. Ils s’impliquent énormément dans la façon qu’ils ont de décrire leurs sentiments. Ils passent très rarement à l’action, et quand ils le font, c’est souvent de manière irrationnelle."

"C’est surprenant : il y a beaucoup de sagesse dans les blagues courtes. Elles sont comme de petits poèmes. Quand je lis ce genre de plaisanteries, et pas seulement celles que j’écris, je suis vraiment passionné par le fait qu’elles capturent une idée philosophique en quelques mots."

Le meilleur et le pire moment dans la fabrication d’un film
"Pour moi, le moment le plus agréable est la sélection de la musique. J’opère toujours de la même façon. Quand je termine un film, je le regarde tranquillement puis je me tourne vers ma collection de disques. Je prends un morceau que j’écoute pendant la projection. Si ça me plait, je garde. Si ça ne me plait pas, je range le disque. Billie Holiday représente une sorte de point de vue triste et romantique sur l’amour. Elle était donc un choix judicieux pour La vie et tout le reste."

"L’étape la moins distrayante est le tournage. En écrivant, je ne suis pas confronté à la réalité. Tout apparaît parfaitement dans mon esprit. Quand je monte, j’ai des prises et je suis dans une salle de montage confortablement installé. Par contre, sur un plateau, on est dans la rue, on doit se lever tôt le matin, il fait froid dehors…Tout le monde parle vite et fort. Tout marche mal. Il y a des imprévus, il faut faire des ajustements…"

Sa vision du romantisme
"Mon idée du romantisme est proche des théories de Denis De Rougemont. C’est en relation avec le sentiment amoureux non partagé. Le romantisme implique d’attendre, de se languir. Il suppose des déceptions, et éventuellement le suicide. Ça doit mal se passer quelque part. Quand les deux personnes sont enfin réunies, on sort de l’amour romanesque et on rentre dans l’amour réaliste."

Boulimie de réalisation
"Le travail d’un réalisateur n’est pas difficile, si vous savez mettre en scène. Les gens semblent compatir au sort des cinéastes, mais il y a toujours plein de gens autour d’eux. Si vous voulez quelque chose, vous claquez des doigts et vous l’obtenez. En fait, c’est très simple, quand j’ai fini un long-métrage, je m’installe dans mon appartement pendant quelques jours, et je m’ennuie alors je commence à écrire quelque chose. Quand j’ai terminé, je prends le script et je vais le tourner. Mes films ne sont pas chers du tout. Le processus prend quelques mois d’écriture et quelques autres de tournage. Le montage est très rapide grâce au numérique. J’ai bouclé La vie et tout le reste il y a un petit moment maintenant. J’ai donc commencé à écrire un nouveau scénario. À partir de la troisième semaine de septembre, je le tourne et, avec un peu de chance, il sera prêt au mois de septembre prochain."

Ses fans
"Aux Etats-Unis, j’ai un petit cercle de fans, ils sont fidèles mais très peu nombreux. Pour le grand public américain, je suis quelqu’un qui est dans le métier depuis longtemps. Mais ils ne savent pas pourquoi. Quand on parle de moi, ils se demandent si ça en vaut la peine. Ils sont gentils, mais vraiment pas du tout impressionnés par mon travail."

Son concert à Vienne
"Il y a une différence cruciale entre faire du cinéma et jouer de la musique : l’un est cérébral, l’autre émotionnel. La musique, c’est une joie et un plaisir énorme pour moi. Un long-métrage, par contre, il faut réfléchir pour écrire puis organiser le tournage. Mêmes les films les plus sentimentaux demandent beaucoup d’intellectualisation pour être réalisés."

"Je sais que je suis un clarinettiste nul. On m’accepte parce que je suis connu en tant que réalisateur. Mais si j’étais seulement musicien, personne ne voudrait de moi et jamais je ne pourrais gagner ma vie. Les spectateurs viennent me voir parce qu’ils aiment mes oeuvres. Je joue sans talent mais avec passion. Je trouve que les fans de jazz sont vraiment aimables avec moi. Toutefois, quand j’ai le dos tourné, je les soupçonne de lever les yeux au ciel et de se dire " mon dieu, quelle tristesse qu’une telle reconnaissance aille à un musicien si peu talentueux ". Il y en a d’autres infiniment plus doués qui mériteraient d’être sur scène et d’avoir l’attention des médias. Il se trouve simplement que je l’ai grâce à ma carrière de metteur en scène."

Un éventuel successeur dans les jeunes cinéastes américains
"J’avais cette conversation récemment avec Martin Scorsese. Et je lui disais qu’il me semblait que tous les gens qui sont influencés dans le cinéma aujourd’hui le sont par lui. Je ne vois aucune influence de moi nulle part. Ça m’est égal mais c’est un fait. Tous les jeunes cinéastes que je connais se revendiquent de lui et veulent faire des films comme les siens."

"Je ne pense pas avoir aidé, sauf dans certaines occasions, quand j’ai été sollicité. Il est arrivé qu’on me demande de lire un scénario et de donner mon avis, de faire des remarques. Parfois, on m’envoie des vidéos. Le réalisateur me demande d’en faire la critique alors je lui donne mon sentiment. Quand je fais des conférences dans les universités, on me pose des questions. Et, bien sûr, je suis content de répondre. Mais si on parle de soutien concret, pratique, je mets tellement d’énergie à travailler pour moi que je ne serais pas d’une grande aide pour d’autres."

Propos recueillis par Marie-Caroline Mabille - Paris, Septembre 2003