Black Swan : Portman et Aronofsky dans la cour des grands (critique)

Nina est danseuse au New York City Ballet. Une très bonne danseuse même, tout le monde s’accorde à le dire. Pourtant, il lui manque la flamme qui pourrait faire d’elle une ballerine inoubliable. Ça aussi, tout le monde s’accorde à le dire. Ainsi la jeune femme souffre, travaille et s’écorche pour enfin quitter sa chrysalide et devenir l’étoile qu’elle rêve d’être. Elle peut le faire, elle y est presque… mais pour réussir et toucher à la perfection, il faudrait déjà que Nina accepte d’être faillible, d’être une femme, d’être humaine en somme. Et ça, la ballerine en est incapable. Alors si la réalité ne convient pas à Nina, c’est dans la folie qu’elle effleurera la grâce.

Derrière cette fable horrifique sur l’acharnement et le don de soi, il était évident de retrouver Darren Aronofsky – véritable cinéaste de l’obsession – tant le personnage supplicié de Nina a sa place dans la galerie de gueules cassées qu’il déroule au fil de ses œuvres. Ainsi, si on rapproche facilement la ballerine de Black Swan (une Natalie Portman au sommet) du catcheur martyr de The Wrestler (inoubliable Mickey Rourke) de part leur abnégation à leur art jusqu’à la déchirure, on aurait toutefois pu croiser Nina dans les rues de Brooklyn dans Requiem for a dream, et sa volonté enragée de refuser l’échec ferait d’elle un triste compagnon de route de Tom dans The Fountain.

Obsession, addiction, souffrance des corps et des âmes, folie et même une certaine forme de pessimisme, tous les thèmes chers à Darren Aronofsky sont bien présents. Nous sommes en terrain connu… et lui en terrain conquis ? Pas si sûr. Car, sur le papier, Black Swan avait tout pour effrayer (les producteurs ne se sont d’ailleurs pas bousculés) : un thriller intimiste schizo dans l’univers de la danse classique saupoudré de masochisme et de saphisme ? Hum… Et pourtant… et pourtant !

Aronofsky élabore son Cygne Noir avec une maîtrise (qu'on soupçonnait déjà très fortement) époustouflante, filmant la danse comme jamais auparavant, incarnant le ballet avec violence et grandeur, explorant au scalpel l'âme humaine, poussant ses acteurs aux limites de leur talent et offre ainsi au spectateur l'un des meilleurs films de ces derniers mois.
Mise en scène à couper le souffle, envolées fantastico-schizophrènes géniales, bande-son impeccable, audaces scénaristiques tranchantes, … les superlatifs se bousculent face à ce monstre de cinéma qu'est Black Swan.

Ces dernières semaines, on aura beaucoup évoqué un Oscar potentiel (et amplement mérité) pour une Natalie Portman enfin devenue adulte sous l'oeil de la caméra. On aurait toutefois tort d'oublier de préciser que Darren Aronofsky est, cette fois, véritablement entré dans la cour des grands... et que ça aussi ça fait plaisir.

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Eléonore Guerra (7 Février 2011)