Dans la peau du Che

Voilà un projet dont on ne donnait pas cher de la peau. Faire un film hollywoodien en espagnol sur le personnage mythique – et quasi christique – du révolutionnaire Ernesto « Che » Guevara, c’est ce qu’on qualifie, en général, d’idée casse-gueule. Pas de quoi effrayer Benicio Del Toro et Steven Soderbergh pourtant (ils ont travaillé sur le projet pendant plus de sept ans) puisqu’ils poussent le vice à l’extrême en offrant une chimère (en deux parties) de 4h30. Au vestiaire les deux cinglés ?

Non, assurément non.
Posant leurs cojones sur la table, les deux hommes nous scotchent à la fois par leur audace formelle et leur réserve morale en renouvelant, en plus, la figure du héros.
La première partie retranscrit par instantanés la (re)conquête de Cuba par l’armée révolutionnaire menée par Castro et Guevara et, partant, adapte une mise en scène nerveuse et parallèle à l’effervescence politique et historique de la période. Multipliant en plus les allers-retours chronologiques (de la première rencontre entre les deux hommes, au brûlant discours du Che devant les Nations Unies), Le Che : 1ère partie nous plonge dans la guérilla qui a bouleversé un monde en pleine Guerre Froide.

La seconde partie fait un bond de dix ans dans le temps, et voit Guevara (après son échec de soulèvement africain) de retour sur le continent Sud Américain, préparant une révolution populaire en Bolivie… jusqu’à son mortel échec.

Du lourd tout ça. Et pourtant, Soderbergh s’en sort avec les honneurs, créant un personnage, non pas messianique comme on aurait pu le craindre, mais extrêmement abouti et humain. Ce n’est pas le Christ qu’on voit porté à l’écran, c’est un homme de convictions, un humaniste et excellent meneur d’hommes, à la fois charismatique et discret et dont l’intégrité face à ses idéaux mènera à la perte. Devant ce monstre historique, Del Toro ne nous fait d’ailleurs pas le coup de La môme, mais offre une prestation - toute en intériorité et en réserve – des plus salutaires.
Premier pari gagné.

Reste la difficulté de traiter (en 4h30 !) la vie d’un révolutionnaire historique dont on ne sait finalement (et avec certitude) pas grand-chose si ce n’est qu’il a son visage sur des milliards de T-shirts. Soderbergh prend le risque de faire deux films difficilement appréciables séparément et ainsi de toucher un public restreint… et courageux. Le résultat est étonnamment respectueux et maîtrisé. S’il est indéniable que Le Che : 2ème partie - déchirante fuite en avant pour une liberté qui se dérobe – est le segment le plus réussi formellement (notamment du point de vue de la photo et du climax dramatique), il prend surtout son ampleur en regard du cheminement effectué dans le premier épisode.

Quant à l’aspect politique que l’on peut difficilement occulter, le réalisateur fait le choix d’une certaine distanciation (les échos avec l’actualité se feront d’eux-mêmes) en restant au plus proche de son (ses) personnage(s) ; évitant à la fois de tomber dans la description chronologique pesante et l’adhésion aveuglée à une mythologie.
Si l’on devine les rouages de complots et le glissement idéologique inexorable, Che est surtout le portrait d’un homme qui sacrifia tout pour la liberté des peuples. Pour le meilleur et pour le pire.

Eléonore Guerra (Cannes, le 22 mai 2008)

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