De Bon matin : ma boîte m'a tuer (test DVD)

De Bon matin : ma boîte m'a tuer (test DVD)

Un matin comme les autres, Paul se rend à son bureau. Comme tous les jours, il s'est levé, s'est brossé les dents et a enfilé son costume de banquier. Ce matin, en revanche, il a laissé sa voiture au garage, préférant prendre le bus. Arrivé, à l'heure, sur son lieu de travail, il a pris l'ascenseur et s'est dirigé vers le bureau de son supérieur Alain Fischer. Comme tous les matins ? Non, cette fois, Paul a sorti un revolver et a tiré.

En ce joyeux début d'année 2012, il nous suffit d'allumer un poste de radio ou de télévision, d'ouvrir un journal ou de surfer sur la toile pour réaliser, chaque jour un peu plus, les ravages de la crise économique et sociale qui s'est abattue sur notre macrocosme consommateur. Après les vagues de suicides qui ont frappé le monde du travail ces dernières années, on est en droit de s'interroger sur la responsabilité de ce cataclysme financier et sociétal sur la dégradation des conditions de vie en entreprise : la crise a-t-elle créé le mal qui touche les salariés ou simplement révélé la cruelle bête qui sommeille dans les open space ?

C'est en suivant cet axe délicat que le De bon matin de Jean-Marc Moutout (qui nous avait déjà secoués dans Violence des échanges en milieu tempéré) nous entraîne au coeur du quotidien, en apparence anodin, de Paul (Jean-Pierre Darroussin).
Des premiers ajustements de postes et de missions découlant de la "crise" aux suspicions de trahison, des manipulations vicieuses du management au silence effrayé (mais complice) de ses collègues, c'est tout le mécanisme de destruction qui est ausculté. De bon matin en bon matin, l'environnement ordinaire change, imperceptiblement, et brise, une à une, les résistances de Paul. Confronté au décalage de plus en plus violent entre sa morale personnelle et ses actes, il commencera par douter du bien-fondé de sa mission, puis, piégé par un entourage professionnel qui veut se débarrasser de lui (coup tordus, brimades, déclassement et mise au placard), finira par plonger dans la dépression. L'incompréhension (comment ce qui la veille était un exemple de réussite sociale peut-il se muer en échec ?), l'alcoolisme et les pulsions de mort ne tarderont alors pas.

Déroulant cette descente aux enfers à travers une construction narrative articulée autour de flash-backs se répondant les uns aux autres, Moutout nous force à assister, tétanisés, à la bataille - que nous savons perdue d'avance - de Paul. Malgré sa famille aimante (mais peu compréhensive), sa recherche d'un autre emploi, ses tentatives de ripostes ou sa thérapie, ses efforts demeureront vains et c'est la chute et le silence choqué qui l'attendront au final.
Un silence qui, lors du dernier plan du film présentant les autres salariés à la fois comme victimes et bourreaux, résonnera horriblement fort.

Le DVD : A noter que la sortie DVD du film De Bon matin de Jean-Marc Moutout s'accompagne d'une passionnante analyse du cinéaste et critique Jean Douchet, soulignant notamment la remarquable construction symbolique du long-métrage.

Eléonore Guerra (9 Février 2012)