Good Time : Rencontre avec les frères Safdie

Good Time : Rencontre avec les frères Safdie

La dernière fois qu’ils étaient en France c’était pour présenter Good Time en compétition officielle au Festival de Cannes. Les Frères Safdie reviennent aujourd’hui parler de leur film qui débarquera demain dans les salles obscures.

Ça vous plaît, Paris ?

Benny : Oui, beaucoup. On est déjà venus ici quelques fois. Ce que j’aime, c’est qu’à Paris, tout est ancien : les bâtiments, les rues pavées. Je trouve ça chouette qu’il y ait de nouvelles choses qui se développent, dans un cadre aussi ancien. À l’inverse, New-York est une ville moderne. L’architecture, les buildings… Ça donne
l’impression que tout est possible, tout peut arriver.

Vous pouvez me résumer le film en deux-trois mots ?

Joshua : C’est l’histoire des périples d’un psychopathe romantique qui est obsédé par l’idée de l’amour. Un jour, il décide de braquer une banque avec son frère, Nick, handicapé mental. Bien sûr, ça tourne mal et son frère atterrit en prison. Il se retrouve alors en cavale, à la poursuite de ses rêves en espérant libérer Nick.

Benny : C’est un bon résumé.

J’arrive pas à savoir si Connie est un petit con égoïste ou s’il a un bon fond. Ça s’est passé comment, l’écriture du personnage ?

Benny : Alors c’est qu’on a réussi notre job !

Joshua : J’ai mis énormément de temps à développer le personnage, à partir du moment où il est né jusqu’au début du film. Je me suis interrogé sur qui il était. Je me suis aussi intéressé à l’ethos du système carcéral, à la construction sociale qui se développe en prison. Tout le monde est tellement isolé, ils sont dans leur propre prison mentale. C’est la même chose pour Connie, il est enfermé dans sa propre prison, bloqué dans un cercle vicieux. Il connaît un réveil brutal lorsque son frère est envoyé en prison.

Benny : Il ignore simplement le fait que son frère a des problèmes mentaux.

Joshua : Il vit dans la désillusion. C’est comme ce truc, avec la loterie. Tu t’imagines que tu gagnes beaucoup d’argent, que tu peux t’acheter plein de trucs. C’est le revers du rêve américain. Aux États-Unis, beaucoup de gens ne sont pas allés voter, Connie en fait partie.

Benny : Je pense que tu peux davantage éprouver de l’empathie ou détester une personne quand tu comprends ses motivations. Du style « Oh, il a voulu entreprendre tel truc à cause de ça, c’est vraiment un abruti » ou inversement.

Vous avez réussi à nuancer un peu son personnage. Tout n’est pas toujours blanc ou noir.

Benny : Et pourtant, certaines fois, ça l’est. Tout blanc ou tout noir. Ça facilite les décisions, on se dédouane de la responsabilité des conséquences.

Pourquoi avoir choisi Robert Pattinson ?

Joshua : C’est lui qui nous a choisi, en fait. Il a vu un image sur notre site et nous a envoyé un mail en expliquant qu’il voulait collaborer avec nous. Ça avait l’air de l’obséder.

Benny : Il pensait qu’on était des réalisateurs hongrois. Il a été surpris quand on lui a dit qu’on était américain.

Joshua : Il a tout suite senti une espèce de connexion. On lui a dit qu’on lui proposerait notre prochain projet. Finalement, aucun de nos futurs projets ne collaient, donc on a écrit Good Time avec Robert en tête. Quand on l’a rencontré, on était tous très excités, une bonne énergie nous entourait. Beaucoup d’idées ont fusées quand on s’est vus. Dans le même temps, Robert craignait qu’un paparazzi le surprenne. Il était comme
paranoïaque, même s’il n’y avait pas trop de raisons pour que quelqu’un vienne le déranger. On s’est inspiré de ce côté là pour développer Connie.

Benny : Aussi, ce qui était intéressant était de le faire jouer dans un film indépendant après ce qu’il avait déjà connu.

Joshua : Je n’ai personnellement jamais vu Twilight, mais c’est sûr qu’il vient d’un autre univers.
On s’est beaucoup inspirés de sa venue de Hollywood vers les films indés.

Benny, vous interprétez (à merveille) le frère handicapé de Robert Pattinson dans le film. Ça fait quoi d’avoir la casquette d’acteur et réalisateur dans le même film ?

Benny : Je pense que c’était nécessaire.

Pourquoi ça ?

Benny : Au début, on pensait à travailler avec un vrai handicapé mental. Le problème, c’est que les procédures, le casting, tout cela était beaucoup trop rapide. Le rythme était assez soutenu. On ne voulait mettre personne en difficulté et on tenait à rester respectueux malgré nos contraintes de temps, ce qui est vite devenu délicat dans la mise en œuvre du projet. On a ensuite pensé à engager quelqu’un qui jouerait l’handicapé mental, mais ça sonnait trop faux, on a trouvé personne qui ait réussi à nous convaincre. Finalement je me suis beaucoup entraîné, j’ai développé le personnage et on a décidé que c’est moi qui m’y attellerais. C’était assez intense. J’avais l’impression d’avoir une vraie connexion avec Nick.

C’est vrai que c’est impressionnant de vous voir ici, comme ça, après avoir vu votre performance.

Benny : Lors d’une avant première, quelqu’un dans la foule était surpris de me voir parler normalement. Il pensait vraiment que je parlais de la manière dont je le fais à l’écran.

Le parallèle est assez évident, mais vous êtes frères, vous réalisez un film qui parle de deux frères… Ça a eu quel impact dans la réalisation ?

Benny : C’était inconscient. C’est sûr que ça avait une certaine importance, mais ça va plus loin que des détails concrets. Josh me connaît, il sait comment j’évolue. On ne réalise pas vraiment où tout ça s’applique. On considère que ça va de soi.

Joshua : Disons qu’un frère, c’est une extension de toi-même. Nick a des problèmes mentaux apparents. Connie en a également, sauf que c’est peut-être moins visible.

Benny : Personnellement, je vois le reflet de moi-même dans Nick, je ne faisais qu’un avec lui. Je vois des similitudes entre Connie et Josh…

Josh : La persévérance ?

Benny : Yep !

Josh : C’est vrai, je m’y retrouve un peu. Quand j’admire le travail de quelqu’un, je peux plancher dessus pendant des heures.

On n’a plus beaucoup de temps, mais je me lance. Le film m’a immédiatement fait penser à After Hours, de Scorsese. C’était quoi, vos inspirations ?

Joshua : Oui exact, très bon film.

Il y a aussi le poster, qui lui ressemble.

Joshua : Oui, le poster aussi. En fait, on a peu d’inspiration au début, mais on trouve beaucoup de références après que le film ait été tourné. On pense notamment à Running man, à L'Épouvantail… Rain Man aussi. Les deux influences principales sont deux documentaires : un qui s’appelle One year in a life of a crime. On y suit le documentariste Jon Alpert à la poursuite de trois petits criminels, dans la ville de Newark, au New Jersey. L’autre inspiration principale était The dog, un portrait documentaire sur John Wojtowicz. Il a tenté de braquer une banque à Brooklyn en 1972 dans le but de payer le changement de sexe de son copain.

Okay, time’s up mais une petite dernière : ça fait quoi de bosser avec A24 ?

Benny : C’est vraiment super de bosser avec eux. Ils ouvrent vraiment la porte à de nouveaux mondes.

Joshua : Personne d’autre au monde ne peut faire ce qu’ils font.

Morgane Cintrat (12 septembre 2017)