Un film bouleversant d'humanité !

Alors que la folie Indy s’emparait de la Croisette et au moment où chacun enfilait son smoking pour monter les marches, je me faufilai dans la « petite grande salle » du palais, juste à côté du théâtre Lumière, la Salle Debussy, dédiée à la section Un Certain Regard.
Aux antipodes du cinéma de Spielberg, j’allai à la rencontre d’un réalisateur que j’admire tout autant : le documentariste français Raymond Depardon.

De retour à Cannes quatre ans après son passage remarqué en compétition avec 10e chambre instants d'audience, il présente cette année le troisième film de sa série « profils paysans ». Après L’approche et Le Quotidien, voici la Vie Moderne. Pendant plus de dix ans, Depardon a suivi des paysans de fermes isolées de moyenne montagne. Plus que de simples portraits où qu’un documentaire sur leur activité, et dans la lignée de ses précédentes œuvres, le réalisateur nous offre de magnifiques et émouvantes rencontres.
Nous retrouvons ici plusieurs années après les paysans croisés dans les premiers films. Et si la vie de certains a changé (mariage, naissance, décès), rien en revanche n’a évolué sur leurs difficiles conditions de vie et leur avenir plus qu’incertain.

Une plongée au cœur d’une France en train de disparaître, à la rencontre de personnalités atypiques, comme seul Depardon sait les filmer. Le réalisateur pose sa caméra, s’attable avec les paysans et leur pose des questions sur leurs vies, simplement, autour d’un café. Aucun voyeurisme, aucun jugement. Juste des gens, humains et sensibles.
Le cinéma de Depardon constitue un genre à lui tout seul, à part, avec de longs plans fixes, parfois silencieux où seuls quelques regards suffisent à tout dire. Il peut à ce titre rebuter certains spectateurs non avertis. Mais nous lui décernons sans hésitation nos quatre étoiles du cœur pour son travail de longue haleine, sur plusieurs années, un travail de patience également avec un montage parfait des différentes rencontres. En résultent des portraits au réalisme incroyable et un film qui émeut tout simplement par sa grande humanité.

Au jour où la petite agriculture au sens de celle que l’on voit ici est inexorablement appelée à disparaître, nous ne pouvons que nous réjouir qu’un cinéaste doué ait mis sur pellicule ces instants uniques, et malheureusement de plus en plus rares.

Amélie Chauvet (Cannes, 19 mai 2008)